Pourquoi on se plante à vouloir “replanter” des haies

lundi 22 avril 2024

Précisons d’emblée que l’auteur de cet article n’est pas un adepte de la monoculture qui verrait dans les haies une perte de surface cultivable, des contraintes pour les engins agricoles ou des frais d’entretien (arguments usuels des contempteurs de la haie). Au contraire, puisqu’il est désormais établi que la disparition de 70% des haies depuis 1950, soit environ 1,4 million de kilomètres, est une véritable catastrophe pour l’agriculture, l’élevage, la biodiversité, l’eau, la santé humaine, le CO2, etc.

Aussi, le lancement d’un Pacte en faveur de la haie par le ministère de l’Agriculture visant à replanter 50 000 km de haies à horizon 2030 a toutes les raisons de réjouir sur le papier. Sur le papier uniquement, car l’approche des pouvoirs publics, qui abordent la question à la façon d’un chantier autoroutier – « Je veux un linéaire qui ne se réduise plus en France » nous dit le ministre – est symptomatique d’un modèle agricole qui se révèle fondamentalement incapable de concilier l’impératif de production et la préservation de l’environnement, alors même que ces deux notions sont indissociables.

C’est d’ailleurs la compréhension des vertus de l’association cultures / écosystèmes qui a permis, autrefois, d’appréhender la haie de façon systémique, comme un maillage essentiel et structurant des territoires agricoles.

Pourquoi c’est si important, les haies ?

Difficile d’énumérer tous les bénéfices tant ils sont nombreux. L’expert en agroforesterie Emmanuel Torquebiau en liste ici quelques-uns :

« Dans un paysage de bocage où il y a beaucoup de haies qui entourent les parcelles – on pense à des petites parcelles d’environ un hectare – en hiver les risques de gel sont diminués car la présence des arbres modifie le flux d’air froid dans les champs, et à l’inverse en été en cas de grosse chaleur les parcelles bocagères ont une température moins élevée que celles des parcelles sans bocage. Ça tamponne les variations de température. Sans oublier bien sûr les autres contributions essentielles des arbres aux cultures : protection et stimulation de la vie des sols, diminution du ruissellement, meilleure infiltration et filtration de l’eau, apports d’éléments nutritifs, refuge pour les espèces auxiliaires, etc.

À plus grande échelle et dans une approche systémique, on mesure ainsi le potentiel des arbres qui contribuent indirectement au climat régional avec cette eau qui ne ruisselant plus reste dans le sol, aide les plantes à pousser, des plantes qui évaporent, produisent de l’humidité à l’origine des nuages et des précipitations. »

On plante des arbres à grand frais, alors qu’on pourrait s’inspirer de la Régénération Naturelle

Il faut voir la peine que l’on se donne à planter dans un alignement parfait les jeunes arbustes censés constituer ces nouvelles haies. Souvent la plantation ne dénote pas des monocultures environnantes, on croirait la version agricole du jardin à la française, parfaitement maîtrisé. Des bâchages au sol sont censés retenir l’humidité en été, tandis que des filets en plastique empêchent les ongulés sauvages de venir brouter les jeunes pousses. L’humain a donc tout prévu, alors où est le problème ?

Une “haie” replantée entre deux champs, à Lavannes, dans la Marne. Photo : Sipa Press

Emmanuel Torquebiau renverse cette table bien dressée d’une simple observation :

« Plus je m’intéresse à la Régénération Naturelle, plus je me dis qu’elle pourrait être développée pour nos haies ici en France. Généralement on achète des plants chez le pépiniériste que l’on met en ligne en bord de champs, alors que si on protège le champ et qu’on laisse venir la végétation naturelle, on voit très rapidement germer des frênes, des cornouillers, des noisetiers, des aubépines… qui vont former une haie naturellement diversifiée, intéressante à de nombreux points de vue, et surtout beaucoup plus résistante que des plants de pépinière ! La seule précaution est peut-être de protéger les pousses pour éviter que les chevreuils viennent trop brouter les jeunes sujets (encore que les ronces, qui précèdent l’arrivée des ligneux, remplissent très bien cette fonction, gratuitement de surcroît. Ndlr). Mais on peut très bien imaginer une haie à partir de régénération naturelle assistée, c’est une méthode méconnue en Europe mais très développée en Afrique où elle a fait ses preuves. J’ignore pourquoi on ne s’en inspire pas davantage. »

À quoi ressemblait une haie, autrefois ?

Instituteur à la retraite, ébéniste à ses heures, Joël Sauvage sourit quand on lui parle de ces haies que l’on replante. Ce passionné d’arbres qui arpente la campagne bourguignonne depuis plus d’un demi-siècle se souvient très bien des paysages bocagers typiques de la Saône-et-Loire avant le remembrement des années 70 :

« Autrefois les haies étaient taillées tous les 10 à 15 ans, elles faisaient facilement 5 mètres de large et plus de 10 mètres de haut, fournissant une nourriture abondante à la faune sauvage et au bétail, même en hiver, grâce aux baies d’aubépine et d’églantier qui y poussaient en abondance. On y trouvait une incroyable diversité d’espèces : aubépine, cornouiller, églantier, prunelier (l’épine noire), lierre, sureau, ronce, noisetier, frêne, ainsi que de nombreuses variétés d’arbres fruitiers sauvages (notamment des pommiers et des poiriers qui donnaient des petits fruits), … À présent, les haies sont ratiboisées tous les ans dès août-septembre et il n’y a plus rien à manger pour les animaux. Elles sont devenues anecdotiques. »

Une haie, en vrai, cela ressemble plutôt à çà (haie champêtre dans le Kent, en Angleterre). Photo : iStock.

Espérons que le timide retour des haies annonce un mouvement de renaturation de nos paysages agricoles, et qu’inspirés par cette dynamique vertueuse les agriculteurs se réapproprient le concept (ancien !) de la Régénération Naturelle Assistée (RNA). Parions que fatigués de voir leurs plantations crever de soif en été, ils feront appel au bon sens et finiront par s’en remettre à la nature.

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