Hommage aux rivières sauvages

lundi 25 décembre 2023

Cela s’est passé en 1969. Deux ouvriers équipés d’une pelleteuse excavatrice entreprirent le redressement du Grison, une charmante rivière prisée des pêcheurs sillonnant la campagne bourguignonne sur 20 km depuis le site de Blanot jusqu’au château de la Ferté dans le chalonnais. Le chantier allait durer deux ans. On supprima les méandres – ces S qui ralentissent le débit – afin de prévenir les inondations et guider l’eau plus rapidement vers la mer. L’exploitation des parcelles agricoles attenantes serait ainsi facilitée.

Tout le long du parcours, on racla le fond pour uniformiser le lit du cours d’eau. Algues, vase, sédiments, nutriments, roches… Toute la vie aquatique se retrouvait étalée sur les berges et dans les champs alentours. Tout séchait le ventre à l’air. C’était droit, méthodique, maîtrisé… du moins le pensait-on. On rasa aussi les haies – ce n’était que le début – on coupa les arbres à la tronçonneuse, on fit sauter les souches à la dynamite. Liquider des arbres à la dynamite !

Quelques anciens se souviennent de cet épisode qui marqua le début du remembrement, mais qui s’étonne aujourd’hui de voir nos rivières ainsi tracées ? Pourtant, de la même façon que le poisson pané ou le jambon en tranche n’existent pas à l’état sauvage, les rivières droites n’ont rien de naturel.

Un demi-siècle plus tard on comprend – une fois encore très tardivement – que lorsque l’humain intervient sur la nature, il commet souvent de graves erreurs. Jugez plutôt :

Alors que l’on croyait la France à l’abri des risques de pénurie d’eau, le réchauffement climatique rebat les cartes et nous oblige à repenser profondément – et urgemment – notre gestion de l’eau. Ainsi on redécouvre les vertus des méandres : ils ralentissent le débit des rivières, alimentent des zones humides pendant les épisodes de crues, contribuent au rechargement des vitales nappes phréatiques – celles-là même que l’on surveille désormais avec fébrilité à l’approche de l’été.

En matière de biodiversité aussi les rivières dessinées par la nature ont des vertus bien connues. Elles accueillent dans leur lit et à leurs abords des écosystèmes d’une immense richesse. On sait que de nombreuses espèces de poissons frayent dans les méandres, où elles trouvent nourriture et refuge, à l’abri des courants et des prédateurs.

Autre aspect, non des moindres : quelle beauté ! Ces cours d’eau épousent la géographie, formant des paysages bucoliques mêlant graminées, arbustes et ligneux. On en perçoit la richesse à l’œil nu.

Bonne nouvelle, des projets de reméandrage des cours d’eau fleurissent un peu partout en France. Mais cette approche basée sur la compréhension de la nature reste malheureusement marginale. De fait, nous nous accrochons toujours à la certitude que l’homme tient la solution. Comme avec les méga-bassines, dernière dinguerie en date.

La Nature va-t-elle se montrer patiente encore longtemps ? On serait presque tenté de la voir nous fouetter plus fort, cancres que nous sommes. Mais n’ayons aucun doute, cela viendra bien assez tôt.

En attendant que le Grison retrouve son lit – un jour espérons-le – admirez cette vue d’une rivière préservée, quelque part en Pologne.

Et puisque nous sommes bientôt à l’heure des vœux, nous vous souhaitons une année 2024 riche et sinueuse, telle une rivière sauvage. Parce que les rivières toutes droites, c’est ennuyeux.

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