Le boom des mini-forêts urbaines

vendredi 26 mars 2021

C’est un fait, les forêts sont nos alliées face au changement climatique. Captation et stockage du carbone, régulation du climat, renouvellement des ressources hydriques, réserve de biodiversité… Les fonctions qu’elles jouent sont multiples, complexes et vitales pour l’ensemble des écosystèmes dont nous dépendons. Sans forêts et sans océans préservés – véritables organes vitaux de la biosphère – pas de vie telle que nous la connaissons. Face au réchauffement climatique et à l’effondrement de la biodiversité, notre survie dans les prochaines décennies dépendra donc en partie de notre capacité à préserver les forêts existantes, mais plus encore à favoriser leur développement. Face à ce constat, de nombreuses initiatives citoyennes voient le jour pour replanter. Boomforest, l’une d’entre elles, déploie une méthode de plantation étonnante mise au point par le botaniste japonais Akira Miyawaki. Rencontre avec son co-président, Damien Saraceni.

En quoi consiste la méthode Miyawaki ?

Damien Saraceni et Enrico Fusto, co-présidents de l’association Boom Forest

« On recrée la structure d’une forêt « mature » dès la plantation. Une forêt devient généralement mature au terme d’une succession écologique : dans un terrain nu, il va d’abord y avoir des herbes folles, des ronces et des buissons qui vont bien résister au vent et à la lumière du soleil. Dans leur ombre vont ensuite pousser des espèces pionnières comme les bouleaux, les saules et les peupliers qui ont besoin de beaucoup de lumière et qui n’aiment pas les sous-bois. Vont ensuite arriver des arbres à la croissance plus lente, qui tolèrent bien l’ombre créée par les arbres pionnier. C’est la fameuse canopée : notamment le chêne, le hêtre et le châtaignier qui sont de grands arbres. Tout ce processus va s’opérer sur 100 à 200 ans. La méthode Miyawaki consiste à reproduire ce stade final avec des espèces locales qui appartiennent à la végétation naturelle potentielle.

Petite histoire de la méthode Miyawaki

L’indien Shubhendu Sharma – ingénieur industriel chez Toyota – a découvert la méthode du botaniste Akira Miyawaki lorsque celui-ci est venu planter une forêt autour du bâtiment pour compenser les émissions de CO2 liées à la production, appliquant sa fameuse méthode. Ce fut une révélation pour l’ingénieur qui décida de changer de vie. Il rejoignit d’abord l’équipe d’Akira Miyawaki en tant que bénévole, démarrant une plantation dans l’arrière-cour de sa maison. En 3 ans il y développa une véritable mini-forêt – la pousse, nettement plus dense et diversifiée, se révélant 10 fois plus rapide que dans une plantation conventionnelle – avec de nombreux effets bénéfiques sur l’environnement immédiat. La nappe phréatique qui se trouvait sous le terrain n’était plus à sec l’été, l’air était de meilleure qualité et la production des fruitiers environnants plus généreuse. Cela donna en 2011 la société Afforestt qui a planté en dix ans plus de 150 forêts dans 46 villes situées dans 10 pays, soit plus d’un demi-million d’arbres.

Quelle surface faut-il ? Peut-on reproduire cela dans son jardin ?

L’idée est de créer un écosystème, donc il est mieux d’avoir une surface supérieure à 200 m2. La très forte densité de la méthode permet de planter sur des petits espaces, elle est donc parfaitement adaptée au contexte urbain. On peut néanmoins la déployer sur de grands espaces. La limite est le nombre de volontaires puisqu’il faut des gens pour planter.

En termes d’entretien et d’arrosage, comment cela se passe ?

Il faut suivre les jeunes plants les trois premières années, mais l’arrosage reste léger puisqu’on arrose principalement à la plantation. Une couche de paille d’une trentaine de centimètres permet de conserver l’humidité et d’accélérer la vie du sol. Ensuite, la densité de plantation va permettre de former rapidement une végétation close qui va atténuer l’impact du soleil. Toutefois dans les périodes de canicules exceptionnelles que nous avons connues ces derniers été en juillet et en août, nous avons dû ponctuellement arroser la première année. On doit ensuite désherber de manière légère pour retirer les adventices trop envahissantes,  notamment dans l’environnement urbain qui est assez perturbé avec des espèces pionnières championnes. On laisse ensuite les herbes au sol. En se décomposant elles nourriront les plantes.

Plantation réalisée à Montreuil, en région parisienne

Faut-il enrichir le sol, prévoir un amendement particulier lors de la plantation ?

Oui, cela dépend de la nature du sol mais on ajoute du compost, du fumier, du BRF (bois raméal fragmenté) ou des écorces dans les 30 premiers centimètres, mélangés avec du terreau pour faciliter le développement des réseaux racinaires.

Quelle est la densité de plantation et quelles espèces privilégier ?

Sous nos latitudes, nous sommes sur une densité moyenne de trois arbres au mètre carré. On essaye de trouver les espèces adaptées localement. On observe les forêts alentours avec les volontaires, avec l’aide de spécialistes et de chercheurs. C’est très participatif ! Le seul critère est de planter les arbres qui forment la canopée, c’est-à-dire ceux qui se développent dans des forêts matures comme je l’ai expliqué précédemment. Plantés densément, ils se livrent une compétition vertueuse en poussant en hauteur pour capter la lumière.

« Tous plantés à la même taille, c’est un peu comme si les arbres se mettaient sur la pointe des pieds pour voir le spectacle. Ainsi, on accélère la pousse de la forêt. C’est une méthode bien connue qu’on observe par exemple dans les haies où on plante également densément. » Damien Saraceni.

En lisière de la forêt nous mettons des espèces buissonnantes plus rustiques qui résistent bien à la lumière du soleil et qui protègent les troncs des arbres, qui ne sont pas faits pour supporter le vent et la lumière directe du soleil. L’ensemble forme ce qu’on appelle la communauté du manteau forestier, avec des essences différentes selon qu’on se trouve au cœur ou en bordure de la forêt.

Vous avez planté vos premières microforêts urbaines il y a trois ans. Mesurez-vous déjà des effets ?

D’abord soyons prudents avec la notion de forêt urbaine qui est un oxymore. L’ONU la définit comme l’ensemble des arbres présents dans une ville, or ce que nous faisons est plus riche qu’un simple boisement, puisque l’enjeu est également de recréer de véritables écosystèmes.

En ce qui concerne les bénéfices, ils sont sans commune mesure avec les allées de platanes plantés dans le bitume. Notre première plantation réalisée il y a seulement trois ans procure déjà une ombre abondante, particulièrement bienvenue en été. C’est l’objectif principal de ces microforêts très denses et diversifiées : atténuer efficacement les effets climatiques extrêmes. Elles atténuent aussi considérablement le bruit, c’est même assez frappant.

Au pied de la mini canopée

Les arbres participent également à réguler le climat. Ainsi, si on compare deux rues, l’une avec et l’autre sans arbres, on mesure la pression qu’exerce le vent contre les façades et on estime que l’économie de chauffage et de climatisation est de l’ordre de 15% selon que des arbres poussent devant les façades ou non.

On mesure aussi l’utilité des arbres là où on ne la soupçonnait pas. Le long du littoral pour lutter contre l’érosion par exemple. Au Japon, on plante le long de la côte est depuis qu’on s’est aperçu que les arbres tenaient mieux que les blocs de béton !

On pense aussi à l’aspect esthétique et au bien-être que procurent les arbres…

Absolument, d’ailleurs à Londres une étude a même corrélé la consommation d’antidépresseurs et l’absence d’arbres dans une rue. Il est ainsi attesté qu’on consomme plus d’antidépresseurs dans un quartier minéral en comparaison avec une rue arborée. En clair, les arbres nous font du bien ! D’ailleurs, je n’ai jamais rencontré une personne qui n’aime pas les arbres.

Pourquoi ressent-on une forme de bien-être quand on se promène dans la forêt ?

Il y a des composés volatils libérés par les arbres, des stimulations olfactives, visuelles et sonores procurées notamment par le chant des oiseaux, ce qu’on appelle une fascination douce. L’environnement sonore est présent, mais à un seuil agréable. À l’inverse d’une rue qui même moins bruyante peut procurer une sensation désagréable. »

L’association, qui a déjà réalisé 6 plantations en bordure de Paris et Lyon est heureuse de voir ses forêts essaimer. Plusieurs autres collectifs proposent des initiatives similaires et ces chantiers citoyens participatifs, à portée de pelle, semblent séduire un public large désireux de “faire sa part”. Pour vous renseigner sur les projets en cours ou proposer une plantation près de chez vous, rendez-vous sur Boomforest.

Un peu de fascination douce… à Nanterre.

Photos : Boom Forest.

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