La « fast fashion » accouche d’un nouveau monstre avec Shein

mercredi 12 janvier 2022

Pour ceux que la catastrophe climatique préoccupe, les mauvaises nouvelles ne manquent pas mais certaines plombent une journée plus que d’autres. Comme ce jour où je tombe sur cet article du Monde consacré à “Shein, le nouveau géant de l’« ultra fast fashion » aux méthodes peu reluisantes” (article réservé aux abonnés).

On apprend que la nouvelle plateforme chinoise – arrivée sur le marché en 2015 – est devenue en quelques années le premier lieu d’achat d’habillement des 15-24 ans en France, s’imposant rapidement sur les smartphones de nombreux ados. En 2021 Shein est même devenu le site de mode le plus consulté au monde, générant plus de 10 milliards de dollars (8,8 milliards d’euros) de chiffre d’affaires.

La recette de ce succès ? L’enseigne a réussi le tour de force d’imposer à ses ouvriers des cadences de travail encore plus rapides, dans un secteur où on pensait avoir touché le fond en termes de conditions de travail. Mais il faut croire qu’impossible n’est pas chinois. Dans les ateliers Shein, on travaille au moins douze heures par jour, six jours sur sept, pour environ 5 000 yuans (700 euros) par mois. On est payé à la pièce, sans la moindre couverture sociale et même sans contrat.

Conséquence, le prix moyen des articles de situe à 7,90 euros et rien ne dépasse 50 euros. Et la marque ose même indiquer dans le titre de sa boutique en ligne « Haute Qualité – Abordable ». Comme on dit, plus c’est gros plus ça passe.

Shein.com : attention les yeux ! Tout est fait pour vous faire acheter : bannières criardes, promotions flash, pop-up, boutons “Putaclic” etc. Le pire : ça marche !

Pour faire sa culture personnelle sur le concept d’« ultra fast fashion », le site et la page Instagram de la marque valent le détour. Il faut reconnaître à l’entreprise une certaine honnêteté dans la mesure où on ne pourra pas la soupçonner de greenwashing, contrairement à tant d’autres grandes marques de prêt à porter. Et pour cause : chez Shein la préoccupation environnementale est absolument, totalement, magistralement inexistante. Quant-aux questions sociales, pas besoin de faire un audit pour comprendre qu’elles ne font pas davantage partie de sa raison d’être, si tant est qu’elle en ait une.

Un bel exemple de greenwashing pour la marque de prêt à porter MANGO “Committed” (engagée) : “79% de nos vêtements possèdent déjà des propriétés durables”. Hum hum. Quand c’est flou…

En finir avec la “prime au vice

Pendant que Shein inonde les placards de millions de jeunes instagrameuses droguées aux selfies, des entreprises du textile se mobilisent pour une meilleure régulation dans un secteur où les grands gagnants restent – et de loin – les moins vertueux. Conscientes qu’on ne peut pas miser uniquement sur l’évolution des comportements individuels – les acheteurs sur Shein sont encore loin d’une prise de conscience – 392 entreprises ont lancé En mode climat, une initiative visant à changer les lois pour que l’industrie textile lutte contre le dérèglement climatique. Leur constat : il y a aujourd’hui un avantage économique à produire de manière irresponsable, ce qu’on appelle une « prime au vice ». 

Le collectif demande donc que la loi oblige les entreprises de l’habillement à payer réellement les coûts environnementaux qu’elles génèrent. 

Julia Faure, co-fondatrice de la marque française LOOM et membre du collectif, fut l’une des premières à dénoncer la « fast fashion » :

« À cause de la “prime au vice” ce sont les pires marques qui gagnent chaque jour des parts de marché dans le textile. Pas étonnant donc que Shein, qui produit encore moins cher et incite encore plus à consommer que les traditionnels Zara et H&M se développe aussi vite (10 milliard de CA en 2021, versus 1 milliard pour Patagonia, la marque pionnière de la transparence née en 1973). Le problème, c’est que le développement de ce genre de marque laisse sur son passage drames humains et catastrophes écologiques ; émissions de GES, pollutions des eaux des pays de production, mode jetable qui finit dans la nature africaine, etc.

Émission Sur le Front – France 5 : Où finissent nos vêtements ?

Si on la laisse faire, en plus des problèmes évoqués plus haut, ce sont les marques françaises qui disparaîtront, et avec elles des dizaines de milliers d’emplois dans les magasins. Cette hécatombe de l’emploi a d’ailleurs déjà commencé :

Le e-commerce a détruit 64 000 emplois dans le commerce de détail d’habillement entre 2009 et 2018 (source). Depuis, les fermetures de magasins se multiplient dans les grandes enseignes subissant des difficultés économiques (Camaieu, Naf Naf, André, Orchestra, Comptoir des cotonniers, Celio, Printemps, Gap) menaçant jusqu’à 20 000 emplois à terme en France. Des enseignes dont l’activité est pourtant très rentable, comme Zara et H&M, prévoient également des fermetures de magasins et des plans sociaux pour réduire leurs coûts d’exploitation. En 2020, au moins 3872 emplois ont été détruits du fait des fermetures de magasins d’habillement. C’est plus du double de ce qu’Amazon, de loin l’acteur du e-commerce qui a la part de marché la plus importante en France, a créé sur la même année.

Et le pire, c’est que rien n’est fait pour arrêter cette énorme machine. ​C’est pour ça qu’il est important de signer et partager notre pétition : il nous faut réagir, la France a complètement les moyens de stopper la fast fashion ».

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