La mode est-elle à l’aube d’une révolution ?

dimanche 03 mai 2020

Si sans surprise dans le TOP20 des entreprises les plus polluantes du monde on retrouve des sociétés de l’industrie Oil & Gaz telles que l’américaine Chevron, la Russe Gazprom ou la française Total, un autre secteur s’illustre dramatiquement : la mode.

Les grandes marques de prêt à porter sont en effet à l’origine d’un véritable écocide depuis l’essor dans les années 2000 de la Fast Fashion. En clair : les collections s’enchaînent à un rythme effréné pour satisfaire des consommateurs addicts aux vêtements “pas chers”, shootés aux soldes et autres back-fridays. Résultat : la mode est responsable de 10% des émissions de CO2 dans le monde, 20% des rejets d’eaux usées, 22% de l’utilisation de pesticides, 33% des micro-plastiques rejetés dans les océans. Un bilan effarant qui consterne de plus en plus, en particulier chez les millenials.

C’est une chance, le confinement semble avoir mis un coup de frein à ce phénomène et certains y voient l’accélération d’un changement amorcé avant la crise du coronavirus.

En marge du dernier G7, trente-deux entreprises du textile, des groupes Adidas et Nike à Chanel et Prada, en passant par H&M et Gap, ont décidé de s’engager à diminuer l’empreinte carbone du secteur de l’habillement en signant un « Fashion Pact » (pacte de la mode) visant à atteindre zéro émission nette de dioxyde de carbone (CO2) d’ici à 2050 et à passer à 100 % d’énergies renouvelables sur toute la chaîne d’approvisionnement d’ici à 2030.

Si on se réjouit d’une telle initiative, le business modèle des enseignes de prêt à porter grand public demeure toutefois ancré dans une quête de croissance forte et de récurrence soutenue des ventes. Aussi, à moins de remettre en question leurs fondamentaux, il est peu probable que ces grandes marques parviennent à passer d’un modèle mortifère à un modèle vertueux pour la planète. Sur ce point, en visant 2050 pour objectif, elles n’ont pas dupé grand monde.

De fait, il ne faut pas gratter beaucoup pour comprendre que les notions de qualité, de durabilité et de responsabilité transparaissent peu chez les acteurs mondialisés de la mode grand public. De jeunes pousses l’ont bien compris et ont su ramener la valeur, au sens littéral, dans leurs créations. Elles touchent ainsi des consommateurs en quête de sens et de qualité avant tout. Le succès de ces marques – citons Patagonia, Veja, Boden, Native Shoes, Matt & Nat, Hopaal ou encore Loom – repose sur un postulat simple : pourquoi faire ailleurs ce que nous pouvons faire à proximité ? Pour faire moins cher ? Ne pas s’y tromper, le pull acheté “pas cher” vaut toujours son prix. L’intérêt d’une fabrication à l’étranger répond le plus souvent à un objectif de marge élevée.

De la fast fashion… à la slow fashion

Un phénomène émerge, la slow fashion, qui pourrait bien marquer un tournant majeur dans une industrie associée à une mondialisation incontrôlée. Figure de ce mouvement en France, la jeune entrepreneure charismatique Julia Faure, fondatrice de la marque de vêtement LOOM “moins mais mieux”, prône une vision de l’entrepreneuriat, et plus largement de la société, en rupture avec la vision capitaliste.

Vidéo : intervention de Julia Faure lors d’une conférence TEDX “Redéfinir la réussite des entreprises”. Elle répond en bas à nos questions.

Quelle est votre lecture de la crise que nous vivons ?

Julia Faure – C’est une crise qui met en lumière une grande partie des dysfonctionnements de notre société et à quel point il est urgent de les adresser. D’abord les inégalités sociales : pourquoi je peux rester confinée sereinement tandis que pour les plus précaires cela signifie ne plus manger à sa faim, subir des violences pour les femmes et les enfants qui vivent dans des foyers toxiques, devoir passer tout son temps dans un logement insalubre pour une partie importante de la population mal logée, ou encore devoir travailler avec des protections qui ne sont pas à la hauteur, en mettant sa vie en danger, comme c’est le cas des livreurs ou des caissières ? Pourquoi je gagne plus que toutes les personnes essentielles à la société aujourd’hui ne gagneront sans doute jamais : infirmière, personnel des EPHAD, aide-soignant, caissière, livreur etc ? Pourquoi je n’ai subi aucun contrôle policier alors que dans les quartiers les plus défavorisés les violences policières choquent par leur régularité ? Cette crise met aussi en lumière l’impact négatif de la mondialisation (où sont les masques ? les tests? les blouses…) et nous montre de près les premiers effets à grande échelle de la crise écologique. Finalement c’est difficile de tirer une autre conclusion que celle-ci  : nous devons changer de modèle de société et opérer une véritable transition écologique. Et cela ne se fera pas sans une véritable justice sociale, une réduction des inégalités.

Qu’est-ce qui actuellement vous consterne ?

La subvention de la France aux entreprises polluantes (vs ce qui a été fait au Danemark). Ou l’octroi de prêts garantis par l’Etat et du chômage partiel à des entreprises, sans conditions sur leurs dividendes etc. Comment ose-t-on distribuer des dividendes et toucher en même temps des aides de l’état (c’est-à-dire, nos impôts) quand on sait à quel point cette crise va paupériser une partie importante de la population ? Ça me consterne, ça m’indigne et ça me désole. J’espère que c’est un réflexe de l’ancien monde mais cela me fait dire que beaucoup n’ont pas encore pris la mesure de l’urgence à changer notre modèle de société.

Qu’est-ce qui actuellement vous inspire ?

Mes copines qui mettent des affiches dans les halls d’immeubles pour faire les courses ou rendre des services aux personnes âgées ou fragiles. Une amie qui m’a spontanément déposé un jeu de masques qu’elle avait fabriqué. Des proches qui ont été donné leur sang. Une pote qui fait des cookies pour le personnel soignant de son immeuble. Dominique Méda qui me fait réfléchir sur l’importance de certains emplois mal rémunérés. Beaucoup de gens qui imaginent le monde d’après comme un monde qui prend enfin sa responsabilité face à la crise climatique. Mes prof de boxe qui continuent à donner les cours en ligne. Je trouve qu’il y a quelque-chose de clair dans cette époque : les personnes qui m’inspirent sont multiples, anonymes et jamais sur le devant de la scène. Alors que notre société aime les héros avec un slip par dessus leur legging, les leaders inspirant, “l’homme providentiel” qui va tous nous sauver. Aucun individu ne va nous sauver.

Le changement est une affaire de peuple, pas de leader.

Photo : Sean Benesh

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