Aux Pépinières de l’Ambre, propriété du groupe Edmond de Rothschild Heritage, on cultive la résilience

jeudi 20 juin 2024

S’il est un métier qui se trouve en première ligne face au changement climatique, obligé de s’adapter mais surtout de se projeter dans le climat futur – à l’échelle de la vie d’une plante en l’occurrence – c’est bien celui de pépiniériste. Justement, aux Pépinières de l’Ambre, situées en Isère, on s’attèle depuis 1976 à proposer des essences remarquables sélectionnées principalement en France, avec une réflexion sur le temps long. Acquise en 2008 par Edmond de Rothschild Heritage – la branche Art de Vivre du groupe Edmond de Rothschild – l’exploitation cultive sur 50 hectares plusieurs centaines de variétés ornementales destinées à des parcs et jardins d’exception, comme le jardin des Tuileries, le Four Seasons Hotel à Megève ou encore le Jardin Japonais d’Aix-en-Provence, ainsi que les propriétés de la famille Edmond de Rothschild.

Mathieu Brochier, directeur de l’exploitation, nous en dit plus sur une tradition d’excellence qui, déclinée au jardin, apparaît très en phase avec les enjeux écologiques.

– Qu’est-ce qui a motivé le groupe Edmond de Rothschild Heritage à intégrer les Pépinières de l’Ambre ?

C’est d’abord une aventure humaine, l’histoire d’une relation de confiance tissée entre le propriétaire des Pépinières de l’Ambre et le jardinier de la famille Edmond de Rothschild. Benjamin et Ariane de Rothschild vouant une passion au végétal et plus largement à la nature, ils ont été séduits par un savoir-faire rare – la maîtrise de la taille des pins en nuage, élevée ici au rang d’art*. Dans la mesure où ils souhaitaient pouvoir proposer des végétaux d’exception à des clients passionnés et au groupe, cette activité avait vocation à être intégrée.

– La question du changement climatique est-elle au cœur de vos réflexions ?

Bien sûr, et plus globalement les enjeux environnementaux, c’est d’ailleurs ce qui nous a conduit à engager une certification Agriculture Biologique – qui sera effective dès février 2025 – traduite par la suppression des produits phytosanitaires et désherbants chimiques, dans l’intérêt de la santé des plantes. Une démarche peu commune en arboriculture d’agrément, puisqu’à ma connaissance nous ne sommes que deux exploitations en France à être certifiées « AB ». Ensuite, concernant la production végétale, nous sélectionnons en amont des essences à même de résister au changement climatique et nous avons parallèlement fait le choix d’arrêter certaines variétés trop fragiles ou fréquemment malades comme le platane, le frêne ou le châtaignier. Nous préférons mettre en valeur des essences qui évoluent à l’état naturel comme les érables champêtres ou les aubépines, dans l’idée de développer la flore locale.

Mélèze taillé en nuage. Hôtel Four Seasons, Mégève.

– La flore locale est toutefois amenée à évoluer, avec le changement climatique…

Absolument et la tendance à laquelle nous assistons, déjà très nettement, est une remontée de la strate méditerranéenne qui a dépassé le stade de la région Rhône Alpes. Ainsi on retrouve le chêne vert, une plante typiquement méditerranéenne, jusqu’en région parisienne, voire en Bretagne et en Normandie. Quelque chose qui était totalement compromis il y a 10 ou 20 ans, mais qui devient possible aujourd’hui avec la disparition des forts coups de gel sur de longues périodes. En effet, les épisodes de gel brefs sur 24h sont moins problématiques pour les arbres que les épisodes de longue durée ou les fortes amplitudes thermiques, comme par exemple passer de -9° le matin à +20° l’après-midi, pendant plusieurs jours d’affilée, en pleine période de débourrement.

– Avez-vous vu la demande de vos clients évoluer dans ce nouveau contexte climatique ?

Oui et le travail de prescription se fait beaucoup en amont par les paysagistes et autres concepteurs de jardins. Nous jouons également un rôle essentiel de sentinelle, étant, en amont de la chaîne de valeur, aux premières loges pour constater que certaines espèces sont désormais trop sensibles aux grosses chaleurs et aux sécheresses. Je précise que notre zone d’intervention couvre principalement la Savoie, la Haute-Savoie, le reste de la région Rhône-Alpes, la Suisse et enfin plus ponctuellement la région parisienne. Nos clients sont essentiellement des paysagistes qui plantent pour des particuliers, notamment autour du lac d’Annecy ou du lac de Genève, mais nous travaillons également en direct avec des collectivités qui viennent se fournir chez nous.

– Autrefois les collectivités ont planté beaucoup de platanes, en particulier dans le sud de la France. Qu’en est-il de ces platanes, justement ?

Les platanes ont beaucoup souffert avec le chancre coloré, une maladie importée des Etats-Unis lors du débarquement de Provence en 1944, qui s’est d’abord déclarée le long du canal du Midi et dont la propagation a été favorisée par l’eau. Les arbres isolés semblent pour l’instant relativement épargnés, ce qui doit inciter à repenser ces alignements mono-spécifiques propices à la propagation de pathogènes. En attendant, il est clair que le platane est beaucoup moins demandé qu’il y a quelques années et ici aux Pépinières de l’Ambre, nous n’en proposons plus.

La mode revient plutôt sur des essences robustes comme l’érable champêtre, le chêne d’Amérique – notamment en reforestation – le chêne vert et le chêne liège qui se révèlent très résistants au nouveau climat, de même que le lilas des Indes. Autant de variétés qui se plantaient avec beaucoup de précaution il y a 20 ans et qui poussent désormais très bien à peu près partout.

Chêne vert taillé en nuage, Jardin Japonais du parc Saint-Mitre, Aix-en-Provence.

– Vous êtes spécialisé sur les pins. Pouvez-vous nous en dire quelques mots ?

Nous sommes effectivement spécialisés sur les variétés produites pour la montagne, je pense en particulier au pin sylvestre qui est une essence très graphique qui supporte bien le sec sous tous climats et qui pousse bien. On commence également à proposer de nouvelles variétés comme le pin pignon ou le pin maritime qui sont des espèces typiques du sud.

– Quid des fortes chaleurs et des sécheresses ? Les pratiques de plantation ont-elles évolué ?

Nous raisonnons de plus en plus en îlots de fraîcheur, avec une densité importante de végétaux dès la plantation, parce qu’on commence enfin à comprendre que le végétal va permettre de lutter efficacement contre la chaleur en ville. On y voit d’ailleurs des créations paysagères qui commencent à prendre de belles dimensions ! Le besoin d’arbres semble rentrer dans les mœurs, en atteste le développement des pépinières qui dans l’ensemble se portent très bien. Les programmes de replantation de dizaines voire de centaines de milliers d’arbres par certaines collectivités contribuent indéniablement à cette dynamique nouvelle.

– On prend effectivement conscience de l’importance de planter, en oubliant parfois qu’il faut aussi arroser…

C’est juste. Quelle que soit la variété, un arbre s’arrose à la plantation et ensuite pendant 1 à 2 ans, le temps que le système racinaire soit bien installé. Après les deux premières années on pourra laisser l’herbe pousser à la base, ce qui préserve la fraîcheur du sol par forte chaleur. L’herbe et l’arbre n’étant pas sur les mêmes strates – le système racinaire de l’arbre va chercher l’eau beaucoup plus en profondeur – les deux espèces ne se concurrencent pas et opèrent en symbiose. Les premières années on recommandera toutefois de limiter la pousse de l’herbe autour de la motte, le temps que le système racinaire de l’arbre se développe, en prévoyant un paillage pas trop épais sur 3 ou 4 cm pour retenir l’humidité en été tout en laissant les racines respirer.

– Quelle fréquence d’arrosage conseillez-vous à l’approche de l’été ?

Il faut un subtil équilibre. Plus vite l’arbre apprend à se débrouiller, mieux c’est. Il peut même être conseillé de laisser l’arbre souffrir légèrement pour inciter son système racinaire à aller chercher l’eau en profondeur. Rester toutefois vigilant les deux premières années, surtout en cas d’épisode de sécheresse ou de canicule, mais ne jamais trop arroser. Dans cette logique on préconisera un bon arrosage hebdomadaire en été.

Pin sylvestre, Jardin Japonais du parc Saint-Mitre, Aix-en-Provence.

Pour en savoir plus, rendez-vous sur le site des Pépinières de l’Ambre.

(*) Cette technique topiaire, essentiellement esthétique, sublime les plantes en leur donnant des allures de sculptures végétales, conférant au jardin un style graphique.

Photo principale : charmille en motte. Visuels : © Maxime Brochier © Christophe Meireis

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