L’été dernier, j’ai suivi un stage en permaculture et design organisé par l’association La Graine Indocile en Corrèze. Douze jours pour aborder la permaculture au jardin (mais pas seulement), au sein d’une collectivité autogérée, en mode camping nature.
Aujourd’hui établie à Zurich où je vis depuis six ans, je suis une citadine dans l’âme, ayant grandi à Toulouse avant de monter à Paris pour y travailler dans la finance. Pas fan des insectes par ailleurs, tout ça pour dire que je ne corresponds pas trop à l’idée qu’on se fait d’une permacultrice.
On peut toutefois être citadin et aimer la nature, travailler dans une banque et s’intéresser à l’écologie, donc à la permaculture. Ma « sensibilité écologique » est sans doute née au cours de mon enfance à Toulouse, dans la maison de ville avec jardin où je vivais avec mes parents et mon frère. À cette époque on ne théorisait pas sur l’écologie, on la pratiquait au quotidien sans que cela tienne d’un quelconque effort ou sacrifice, plutôt du bon sens et de l’amour des bonnes choses. Certes, nous faisions nos courses au supermarché – génération des années 80 oblige – mais surtout au marché, invariablement tous les samedis, comme le faisaient avant nous nos grands-parents. Nous cuisinions ainsi frais, local et de saison.
C’est une fois arrivée en Suisse que j’ai compris que ce qui m’avait le plus manqué pendant mes études et ces dix ans de vie active à Paris – sans forcément que je m’en rende compte à l’époque d’ailleurs – c’était la nature. Je me suis alors empressée d’aménager un mini potager sur mon balcon pour cultiver quelques légumes et herbes aromatiques, avec un succès mitigé je l’avoue, mais surtout une énorme envie d’aller plus loin, d’où ce stage.
Si ma première approche de la permaculture s’est faite avec le potager, j’ai vite compris que cela allait bien au-delà. En effet, la permaculture est une éthique qui implique de prendre soin des hommes et de la terre, produire et partager équitablement les ressources. Cela signifie s’intéresser à l’(éco)habitat, à l’eau, à la terre, aux plantes, à l’énergie, à la gestion des déchets, aux hommes… mais surtout à la relation entre tous ces éléments. C’est ce qu’a théorisé Bill Mollison[1], considéré comme le père fondateur de la permaculture, lorsqu’il a donné son premier cours de design en permaculture en 1981, repris depuis dans tous les stages estampillés « permaculture et design » comme celui que j’ai suivi.
Surtout n’imaginez pas des vacances !
Jusque-là, je me suis dit que j’allais gérer sans aucun problème : j’adore apprendre et la perspective de planter et manger mes propres légumes au retour du stage était hyper motivante. En revanche, je n’étais pas trop sûre de moi concernant le volet « communauté autogérée en camping sauvage ». Enfin sauvage, n’exagérons rien, c’était du camping en tente ni plus ni moins. Mais qui dit camping dit créatures rampantes et volantes, et pire en ce qui me concerne, les araignées. C’est ça, pour moi, qui aura été le plus gros challenge du stage !
Le groupe se composait d’une quinzaine de personnes issues de tous les horizons, tous âges confondus. Le premier jour nous nous sommes présentés et avons expliqué à tour de rôle ce que nous attendions du stage. Certains avaient un projet concret d’installation pour lancer une activité de maraîchage ou une production autonome, d’autres voulaient approfondir leurs connaissances et techniques au jardin. Pour ma part, si j’avais effectivement l’idée d’apprendre à faire un potager digne de ce nom, je crois que je voulais aussi vivre une expérience humaine, quelque chose de radicalement différent de ce que j’avais fait jusqu’à présent, en ville et au bureau où – osons le dire – le sens et le concret manquent parfois cruellement.
Ces belles aspirations ont finalement été balayées dès les premiers jours, quand je me suis demandé si j’allais tout simplement arriver jusqu’au bout du stage. Parce que les araignées je les ai vues tout de suite (elles étaient énormes), parce qu’on était en pleine canicule et que nous allions vivre dehors les deux prochaines semaines. Je me suis sérieusement demandé si j’allais tenir, moralement, mais aussi physiquement.
L’expérience de la collectivité autogérée, en mode camping nature
La vie s’est rapidement organisée pour notre groupe nouvellement formé autour de la logistique et des cours. Tous les participants à une exception près dormaient sur le terrain, en tente ou en camping-car. Le lieu de vie communautaire était organisé autour de la grange et d’une cuisine extérieure adossée à celle-ci. Hormis un point d’électricité alimenté par un panneau solaire – suffisant pour recharger nos portables et éclairer la terrasse et la grange le soir – il n’y avait pas d’autres sources d’énergie. Ici, pas de frigo ! Mais puisque nous avons adopté un régime végétarien nous n’avions pas beaucoup de produits à conserver au frais, donc deux glacières avec pains de glace ont fait l’affaire. L’eau était puisée directement de la source située sur le terrain et filtrée quotidiennement.
Pour la douche, située derrière le coin cuisine – parfait pour discuter avec les collègues en charge de la vaisselle – l’eau était chauffée dans des poches solaires. Les toilettes sèches, situées dans la grange et derrière la serre, complétaient l’installation sanitaire, produisant leur compost spécifique. Pour ne pas perturber l’équilibre et la biodiversité sur le terrain, l’eau de la douche et de la vaisselle s’écoulaient dans une phytoépuration[2]. Bien entendu shampooing et liquide vaisselle se devaient d’être bio. Les déchets de cuisine partaient au compost et les noyaux des fruits étaient revalorisés directement sur le terrain pour constituer une forêt comestible. L’idée était de faire avec ce que l’on avait à disposition localement et de réutiliser autant que faire se peut afin de limiter au maximum notre empreinte écologique.
Chaque jour l’un d’entre nous était désigné responsable d’une thématique sur le terrain – eau, toilettes, animaux, cuisine etc… – assisté par des volontaires. Très rapidement tout le monde était motivé pour à peu près tout, rendant les tâches assez légères finalement. Nos journées s’achevaient par la joyeuse préparation collégiale de nos dîners. Les fruits et légumes, tous issus du potager et du verger ou de producteurs environnants, étaient délicieux (comprendre : ils avaient du goût). Les œufs nous étaient fournis par les poules et les canards présents sur la ferme, les aliments secs par des épiceries bio de la région. Le principe : préparer un dîner en se renouvelant chaque soir et en réutilisant, s’il y en avait, les restes de repas précédents. Moi qui ne suis pas végétarienne, et donc pas très inspirée pour des menus sans viande ou poisson, j’ai vraiment été impressionnée par notre capacité à cuisiner chaque soir quelque chose de différent, grâce aux apports et connaissances de chacun.
Questions logistiques mises de côté, les journées s’organisaient autour des cours – fondamentaux de la permaculture, botanique, eau, corridors écologiques, design, pour ne citer que quelques thèmes – dispensés dans la grange, le potager ou à l’ombre de la forêt quand il faisait vraiment trop chaud. Il y avait ensuite la pratique – entrainement à la greffe, réalisation d’un compost thermique, récupération de semences, plantations de semis, constructions en terre-paille et j’en oublie.
Entre la colonie de vacances et le think tank écologique
La deuxième semaine, un peu plus experts que la première, on nous a confié une mission : réaliser le design des terrains de trois porteurs de projets. Design que nous devions présenter le dernier jour du stage, dans une ambiance conviviale et détendue, pour certains en chansons, pour d’autres en costume, avec ou sans powerpoint !
Jamais je n’aurais pu imaginer que ce stage serait une expérience si enrichissante, sérieuse et drôle à la fois, intense mais aussi relaxante, difficile et libératrice. À mi-chemin entre la colonie de vacances et le think tank écologique.
Non, un tapis de sol n’est en aucun cas satisfaisant pour dormir pendant deux semaines (en tout cas pas pour moi). Oui, j’ai cru que j’allais mourir de chaud et jeter l’éponge face à tous ces arthropodes (huit pattes et plein d’yeux, vous voyez ?) qui cohabitaient avec nous jusque dans l’intimité de la cuvette des wc…
Mais en définitive j’ai non seulement trouvé dans ce stage ce que j’étais venue y chercher – une formation sur le potager « écologique » – et bien plus encore.
Ce que j’en retiens avant tout, c’est que la permaculture n’est pas un « truc » de hippie-bobo-éco-terroriste-zadiste, comme certains détracteurs qui n’y connaissent rien voudraient nous le faire croire, c’est juste la base. C’est apprendre à (ré)observer la nature et reproduire ce qu’elle nous a appris. C’est recréer du lien avec des gens qu’on n’imaginait pas connaître et qui dans mon expérience se sont révélés extraordinairement bienveillants. C’est se (re)trouver soi-même et redécouvrir des sensations et des capacités que l’on avait oubliées, ou que l’on croyait perdues. Et c’est surtout une formidable bouffée d’optimisme, puisque c’est entrevoir qu’une régénération de la terre – et des relations humaines – est possible, que des gens sont en train de réaliser des actions concrètes en ce sens, avec de vrais résultats à la clé.
Même si cela n’est certainement pas suffisant compte tenu de l’état du monde et de l’urgence écologique, ça rend heureux et c’est déjà pas mal.
[1] Chercheur, auteur, scientifique, professeur et biologiste Australien, connu pour avoir développé et promu la théorie et la pratique de la permaculture, une agriculture permanente, avec son étudiant David Holmgren.
[2] La phytoépuration est un processus d’épuration par les plantes. Elle fait appel aux bactéries présentes dans les systèmes racinaires des plantes pour épurer l’eau.
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