« Cette année a été un grand voyage intérieur » Fanny Auger, Nature & Découvertes

jeudi 22 avril 2021

Au titre de directrice de la marque – fonction qu’elle occupe depuis deux ans au sein de l’enseigne Nature & Découvertes – Fanny Auger ajouterait celui de « directrice de la conversation ». Pour cette entrepreneure au parcours iconoclaste, à l’origine de The School Of Life à Paris, la conversation est un art d’autant plus essentiel à une époque marquée par le confinement et la prolifération des réseaux sociaux. Elle nous livre un regard plein d’optimisme sur une année de crise, qui fut pour elle synonyme de découvertes.

Que vous inspire l’époque que nous vivons ?

« En chinois, le signe qui décrit la crise comporte les deux notions de danger et d’opportunité. Pour beaucoup d’entre nous, cette crise opère une prise de conscience sur les enjeux environnementaux, sociaux et sociétaux. Plein de questions passionnantes sont posées et même s’il existe encore des climato-sceptiques, la prise de conscience apparaît très large. C’est assez enthousiasmant, voire excitant je trouve !

Pour ma part je n’aime pas les pessimistes, je préfère plutôt voir comment on peut aller de l’avant. Dans cette période les entreprises ont d’ailleurs un vrai rôle à jouer. En effet, les gens ne croient plus en la religion, en la politique, en revanche ils continuent à consommer, consommer, consommer. Pendant le premier confinement j’étais effarée de voir qu’il n’y avait pas un bruit dans la rue et la seule chose qui venait perturber ce silence, c’était le ballet des livreurs qui déposaient des colis Amazon. Les gens continuent à consommer à bloc ! Après, il faut savoir ce qu’il y a derrière cette consommation… À titre personnel, je ne commande pas sur Amazon car cela ne correspond pas à pas mes valeurs, à mes convictions. Je préfère de loin aller sur Parislibrairies.fr ou privilégier un clic & collect dans un commerce que j’aime et que j’aide, avec qui j’ai un contact humain, une conversation.

À l’ère du confinement et des réseaux sociaux, ne trouvez-vous pas justement que la conversation est mise à mal ?

Je note au contraire que dans le contexte actuel on a des rencontres et des interactions de qualité puisqu’elles sont triées sur le volet, alors qu’avant on était à la merci du premier venu. Et concernant les réseaux sociaux, il y a des gens qui les utilisent de manière formidable, je pense notamment à mon amie Anne Cazaubon qui a lancé « Merci à un inconnu », un compte Instagram où elle écrit des mots à des inconnus pour dire merci pour des petites ou des grandes choses. Elle a plus de 200 000 abonnés et elle le fait de manière totalement désintéressée, pour la joie du partage. Elle était très peu branchée sur les réseaux sociaux mais il se trouve que son projet a fleuri sur Instagram et maintenant beaucoup de gens la suivent et lui disent merci. Si les réseaux sociaux sont utilisés à bon escient, c’est super. Il y a de très bonnes choses, mais les gens devraient être plus exigeants avec ceux qu’ils suivent. C’est une question d’exigence, voire d’hygiène intellectuelle.

Pour vous, la conversation est un art ?

La plus belle définition de la conversation nous est donnée par l’historien Théodore Zeldin : « C’est un échange réciproque et partagé qui permet aux êtres humains d’échanger de la confiance, de la sagesse, du courage et de l’amitié. C’est un art qui doit être appris, pratiqué et constamment enrichi sous peine de devenir bête et répétitif. » Qui sait où une conversation vous mènera ? Un souvenir marquant fut cet échange avec Antoine Lemarchand, le directeur général de Nature & Découvertes. Tout a commencé par une simple conversation autour de notre passion commune pour l’éducation et la transmission. Après trois heures de conversation on a réalisé qu’il fallait qu’on travaille ensemble. Et c’est ainsi qu’une belle aventure a commencé.

Comment la crise que nous traversons a-t-elle impacté Nature & Découvertes ?

Les ventes sur Internet connaissent une forte croissance, en particulier l’offre enfant (Montessori notamment) qui cartonne, de même que l’offre yoga-méditation-détente. Mais cela ne compense pas la fermeture de 94 magasins sur 95 malheureusement. Quoiqu’il en soit, la crise nous encourage à réaffirmer les valeurs que nous portons déjà depuis 30 ans, avec des enjeux sociaux et environnementaux plus que jamais au cœur de notre réflexion. On a ainsi créé un département de l’innovation durable avec en tête l’objectif d’aller vers une offre de produits vertueux sur l’ensemble du catalogue, au-delà de l’offre enfant sur laquelle nous avons été précurseurs en refusant de vendre des jouets en plastique et des armes pour privilégier les jouets éducatifs avec des matières premières sourcées comme le coton bio et le bois FSC…

Nature & Découvertes est certifiée B CORP depuis 2015 et affiche en 2020 une nouvelle raison d’être orientée très solutions pour un mode de vie plus durable… En clair, vous êtes prêts pour le “Monde d’Après” ? 

Après 30 ans (Nature & Découvertes a été fondé en 1990) à éveiller, sensibiliser, découvrir la nature, nous souhaitons désormais accompagner et préparer le monde d’après avec nos communautés. En accompagnant celles-ci (collaborateurs, clients, fournisseurs…) vers ces changements de mode de vie, pour une écologie de la terre, du corps et de l’esprit.

En travaillant pour une enseigne engagée, on imagine que vous l’êtes également à titre personnel ?

J’ai toujours donné de mon temps pour donner des cours du soir, même quand j’étais étudiante. Aujourd’hui, je suis également très sollicitée, notamment par des associations, pour donner des conférences sur la confiance en soi, en particulier à destination de jeunes des quartiers défavorisés. L’éducation est un sujet qui m’anime énormément et je pense qu’il est essentiel d’aider les jeunes. À ce titre, je suis heureuse d’enseigner les soft skills à Sciences-Po, d’évoluer au sein d’une institution qui est une école de la démocratie et de la mixité sociale, où l’on rencontre des étudiants de tous bords et des boursiers.

En ce moment, je donne souvent de mon temps pendant les week-end à mes étudiants car ils ont vraiment besoin de soutien et d’écoute. C’est l’occasion de faire plus ample connaissance avec eux. L’autre jour un étudiant est venu m’emprunter des livres à la maison, on a pris un café sur mon balcon et finalement il est resté 4h à bouquiner pendant que j’étais en visioconférence. C’était un moment « capital » pour lui, m’a-t-il confié.

Les jeunes se prennent la crise en pleine poire… Comment faites-vous pour les rassurer ?

Il n’y a que des cas particuliers, on doit juste leur accorder un peu d’écoute. C’est ça qui peut leur donner plus de confiance.

Vous avez un livre à leur conseiller ?

Sans hésiter Brené Brown, une psychologue américaine qui a fait un PhD (doctorat) sur la honte, elle parle beaucoup de la vulnérabilité. Si vous n’avez pas le temps de lire ses livres, allez au moins voir ses conférences TED qui sont absolument formidables. Elle explique que nous sommes tous vulnérables et qu’on ne devrait pas en avoir honte, cela nous rend au contraire plus fort. C’est très intéressant d’entendre ce genre de discours à notre époque où il y a une fracture entre les jeunes et le monde du travail. Moi je n’hésite pas à parler de mes échecs, de mes faiblesses et je les assume ! J’ai essayé d’avancer avec, je me suis construite avec ça. C’est important de le dire, car sa voie on la trouve souvent sur les chemins de traverse, pas sur l’autoroute. Beaucoup de gens de mon âge qui ont pris l’autoroute, vingt ans plus tard je les retrouve coincés au péage, ils n’arrivent plus à avancer. À l’inverse quand on a emprunté un chemin sinueux, caillouteux… ça nous prépare un peu mieux !

Qu’est-ce qui vous inspire en ce moment ?

La nature, car je suis confinée à Paris et je rêverais d’être dans cette nature qui me manque énormément. En attendant, je fantasme devant des documentaires… et je rêve de mes prochaines vacances qui ne seront pas dans une contrée lointaine. J’ai juste envie d’aller en France à la campagne. Donnez-moi une forêt et je serai contente !

Vous qui avez beaucoup voyagé dans votre vie professionnelle, vous n’êtes pas frustrée ?

Non parce que finalement cette année nous a poussés à l’introspection, à réaliser un voyage, voire un travail intérieur. Nous avons dû être confrontés à nos peurs et à nos vulnérabilités et il a fallu les affronter. Pour moi cette année fut un grand voyage, finalement. »

Photo principale : crédits, Jean-Sébastien Evrard.

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