« L’Etat n’est pas organisé pour faire la transition écologique » Marine Braud, conseillère en transition écologique

jeudi 13 janvier 2022

Ancienne conseillère en charge de la société civile et de la Convention citoyenne au cabinet des ministres Élisabeth Borne et Barbara Pompili, Marine Braud publie « Un bilan écologique du quinquennat », note consacrée au bilan d’Emmanuel Macron en matière de transition écologique et présentée par le think tank Terra Nova. Elle revient pour nous sur plusieurs points marquants de ce rapport.

Quel bilan tirez-vous de ce quinquennat en matière d’écologie ?

« Le gouvernement a manifestement la même différence de prise de conscience entre le climat et la biodiversité que celle qu’on retrouve dans la société en général. Le climat est un sujet qui a été identifié et nous sommes clairement sur le quinquennat qui en a fait le plus en la matière, avec des financements inédits, presque au bon niveau pour tenir les objectifs de la SNCB (Stratégie Nationale Bas Carbone) dont l’objectif de baisse d’émissions à l’horizon 2030 est fixé à 40% par rapport à 1990. Pour autant, nous ne sommes toujours pas au niveau sur ces objectifs-là, sans même parler des nouveaux objectifs fixés par l’Union Européenne à 55 % de baisse d’ici 2030.

La biodiversité – largement aussi importante que le climat rappelons-le – a pour sa part été moins saisie par ce gouvernement et on n’est pas encore passés à l’étape du changement de logiciel. Nous sommes toujours dans une protection « à l’ancienne » qui vise à protéger des espèces, des espaces, sans aborder la question de manière systémique, c’est à dire en s’interrogeant sur les pressions qui s’exercent sur la biodiversité et la manière de les réduire. Ainsi nous n’avons pas abordé les 5 grandes pressions sur la biodiversité décrites par l’IPBES (équivalent du GIEC pour les questions de biodiversité), même si on y a touché ici et là, je pense notamment à la lutte contre l’artificialisation des terres, une énorme avancée de ce quinquennat dont il faudra suivre la mise en œuvre dans les prochaines années, en s’assurant qu’il n’y aura pas de recul.

En définitive la biodiversité est encore traitée à part des sujets, notamment économiques, qui ont un impact sur elle. Et en ce qui concerne la transition agricole – le plus gros enjeu pour la biodiversité – nous sommes pour le coup sur un quinquennat qui a fait du « business as usual ».

L’arrivée du jeune ministre Julien Denormandie avait pourtant suscité quelques espoirs de changement. Mais comme l’écrit Stéphane Foucart dans sa chronique pour Le Monde, « Aucun gouvernement n’a suivi ou devancé avec une telle constance les desiderata du productivisme agricole »…

Je ne veux pas faire de critique ad hominem mais il est clair que le ministère de l’Agriculture n’a pas évolué sur ce sujet-là. Quand Julien Denormandie dit que les agriculteurs sont des combattants du climat il a raison sur le fond, mais il faut les accompagner pour qu’ils le deviennent. Ce sont des choses encore assez peu réfléchies, quand on constate par exemple qu’on s’appuie encore sur le plan Écophyto qui ne fonctionne pas. En effet, alors qu’il devait permettre de diviser par deux l’usage de produits phytosanitaires, nous sommes à +25% l’année dernière et +12% cette année. Face à ce constat quelles réactions des principaux concernés ? Des syndicats agricoles et un ministère de l’Agriculture qui critiquent les indicateurs plutôt que de regarder le résultat.

Cet exemple en dit long sur l’approche des questions environnementales au sommet de l’Etat. Ne manque-t-il pas un grand récit sur le sujet de l’environnement ? Voire une volonté personnelle, chez les dirigeants politiques, de changer réellement les choses ?

Je ne me pourrai pas me prononcer sur la volonté personnelle du président de la République mais il est clair que nous avons des choix de société à faire – est-ce qu’on doit faire plus de sobriété, faut-il parier sur les nouvelles technologies, aller vers plus de décentralisation pour citer quelques exemples – pour atteindre la neutralité carbone et respecter le vivant. Or nous avons un gouvernement qui ne s’est pas posé ces questions-là. Par conséquent on fait du « en même temps » – c’est très macronnien – avec un peu de sobriété puis derrière un peu de pari technologique, un peu de décentralisation… On ne pense pas dans un système. Ce récit-là n’existe pas pour l’instant.

Ce sera l’enjeu du prochain quinquennat ?

Si on veut réussir la transition écologique il faut vraiment s’y atteler oui. On sait que la transition écologique va avoir un impact négatif sur un certain nombre d’acteurs et nous sommes encore dans une époque où quand quelque chose va avoir un impact négatif, on évite de le faire ou on le fait a minima pour limiter les impacts. Ceux qui réfléchissent la transition écologique, eux, se disent que nous n’en sommes plus au stade où on devrait remettre en cause l’objectif. On devrait au contraire ne plus discuter l’objectif mais plutôt les modalités d’accompagnement pour éviter que les acteurs impactés négativement le soient très fortement, en se demandant comment on peut les reconvertir par exemple.

Or aujourd’hui nous sommes encore dans un système dans lequel compte tenu de la construction de l’administration, c’est l’environnement contre l’agriculture, l’environnement contre l’économie etc.

On peut néanmoins compter sur la judiciarisation du combat pour obtenir des avancées concrètes. Je peux d’ailleurs en témoigner : la condamnation de l’État pour pollution de l’air a participé à un relèvement des ambitions sur les ZFE (zones à faible émission).

Cette judiciarisation est-elle un phénomène nouveau ?

Oui c’est un fait nouveau. La France n’a pas été condamnée parce qu’elle n’a pas respecté les engagements de l’Accord de Paris mais parce qu’elle a adopté un acte normatif qui s’appelle la SNBC et dans la mesure où nous ne sommes pas sur le chemin pour atteindre les objectifs fixés par cet acte normatif, les juridictions concernées – le Conseil d’Etat ou le tribunal administratif selon les affaires – jugent sur le droit.

Aujourd’hui l’écologie est gérée en silo au sein du ministère de la Transition écologique. Or compte tenu de l’urgence, une véritable « écologisation » de la société s’impose. Ne faudrait-il pas un ministère de l’écologie très renforcé, voire passer au filtre de l’écologie l’ensemble des politiques quel que soit le ministère ?

Je ne travaille plus pour le gouvernement mais à titre personnel je pense qu’il faut surtout réussir à faire rentrer plus de questions écologiques au sein de Matignon. Car ce qu’il se passe aujourd’hui, c’est que vous avez Matignon au milieu de la table et autour les différents ministères, avec chacun qui expose ses propositions et on essaye de trouver des compromis. Donc l’écologie se retrouve constamment en position de compromis avec d’autres. Or j’aimerais justement qu’on ne discute plus de l’objectif et que ce soit Matignon qui pose l’objectif sur la table, charge ensuite aux ministères de discuter des modalités. Dans cette logique on gagnerait beaucoup à avoir un secrétariat général à la transition écologique au sein même de Matignon.

Les beaux discours sur le climat se heurtent donc à la réalité institutionnelle…

Oui car aujourd’hui l’Etat n’est pas organisé pour faire la transition écologique. Au niveau politique ou administratif, son fonctionnement fait qu’on se retrouve en permanence dans des compromis qui nous empêchent d’atteindre les objectifs. Ce n’est pas « sexy », ce n’est pas une promesse de campagne de changer des directions d’administrations centrales, mais clairement il y a nécessité de modifier l’organisation administrative pour réussir à éviter les compromis et assurer du suivi, du contrôle. Aujourd’hui il n’y a pas d’organisme au sein de l’Etat, en dehors du Ministère de la Transition Ecologique dont on sait le poids, qui ait la responsabilité de suivre la SNBC avec la possibilité de taper sur l’épaule de tel ou tel ministère pour s’assurer du respect des objectifs. Il n’y a pas de contrôle au fur et à mesure de l’action. C’est en partie le rôle du HCC (Haut Conseil pour le Climat) mais celui-ci n’a pas de pouvoir de contrainte, juste la capacité de pointer le manquement aux objectifs, charge au gouvernement d’en tenir compte ou non.

Vous citez la prise de conscience écologique comme un fait marquant du quinquennat ?

Oui, les sondages successifs le confirment, du moins sur la question climatique – sur les enjeux de biodiversité la prise de conscience est encore trop faible – de nombreux français se déclarent inquiets de l’urgence climatique. Cela fait 6 ou 7 ans que je travaille sur ces questions et clairement je vois aujourd’hui une prise de conscience beaucoup plus importante, de plus en plus de gens veulent que ça avance y compris en dehors des milieux traditionnellement sensibilisés sur ces sujets. Après, cette prise de conscience est à double tranchant puisqu’on voit beaucoup de personnes qui réclament de l’action mais qui ne sont pas forcément prêtes à bouger elles-mêmes. On a encore un gros besoin de sensibilisation sur ce que veut dire « passer à l’action ».

Les médias qui feuilletonnent ad-nauseam sur le COVID, Zemmour et toutes sortes de polémiques, n’ont-ils pas une lourde responsabilité dans la trop lente mobilisation de la société ? Parle-t-on assez d’environnement ?

Franchement je suis souvent assez bluffée par le fait que les actualités puissent être rapportées à la question du réchauffement climatique. Désormais on ne parle plus de sécheresses, d’incendies ou d’inondations sans évoquer le changement climatique. On a des médias qui ont monté en gamme sur ces sujets-là. J’ai d’ailleurs longtemps été scandalisée de voir qu’on pouvait parler des feux de forêts sans avoir un mot sur le fait que ces feux étaient très probablement liés au changement climatique. Aujourd’hui ce n’est plus le cas. Les membres de la Convention citoyenne m’interpellaient sur ce point, disant qu’il fallait faire plus d’émissions, sensibiliser les gens. Or il y en a plein d’émissions sur le changement climatique aujourd’hui. Mais peut-être qu’ils n’y faisaient pas attention avant car ils n’étaient pas suffisamment intéressés par ces questions. Je n’ai pas encore trouvé la solution pour traverser l’armure des gens qui ne s’y intéressent toujours pas !

Ce qui me choque en revanche, c’est qu’on puisse interviewer le président de la république pendant deux heures sur le thème « Où va la France » sans poser une seule question sur le sujet principal des trois prochaines décennies. Je ne comprends pas comment cela est encore possible aujourd’hui…

Comment ont été accueillis vos travaux ?

J’ai été très agréablement surprise. Je craignais les interprétations des « ultra-experts » sur chaque sujet, ceux qui penseraient que ce serait trop positif pour le gouvernement ou au contraire ceux qui diraient que je crache dans la soupe. Finalement je n’ai eu que des retours positifs de gens qui non seulement ont apprécié la nuance – devenue tellement rare – mais qui en plus voyaient ce que je cherchais à dire : il faut arrêter de faire des listes à la Prévert de ce qui a été fait et ce qui n’a pas été fait, il faut juste se dire « Est-ce que ce que l’action est suffisamment efficace ou pas ? ». Aujourd’hui non. Il faut qu’on se mette autour de la table et qu’on continue. »

Photo principale : bureau de la Ministre de la Transition écologique.

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