Régler la crise climatique grâce aux nouvelles technologies, le nouveau délire d’Elon Musk

mardi 23 février 2021

On savait que le fondateur de SpaceX avait les yeux rivés sur Mars. Ses dernières déclarations prouvent qu’il a perdu le contact avec la Terre. Le milliardaire espère en effet infléchir la courbe du réchauffement climatique à l’aide des nouvelles technologies en lançant un concours visant à trouver et développer les meilleures technologies d’extraction et de stockage du dioxyde de carbone contenu dans l’atmosphère. Les futurs lauréats se verront allouer une enveloppe de 100 millions de dollars.

Objectif affiché : parvenir d’ici la moitié du siècle à extraire de l’atmosphère 10 milliards de tonnes de CO2 chaque année. À titre de comparaison on a relevé sur la seule année 2019 plus de 43 milliards de tonnes de CO2 issues des activités anthropiques.  

Si cette initiative ne soulevait pas deux problèmes majeurs, on serait presque tenté de se réjouir. Mais tandis que l’ONU appelle à déclarer l’état d’urgence climatique et à décarboner nos économies pour espérer nous maintenir en-dessous des 2° de réchauffement d’ici la fin du siècle – nous sommes loin de cette trajectoire – l’idée selon laquelle les nouvelles technologies pourraient constituer une réponse au changement climatique sous-entend un message dangereux : nous pourrions dès lors continuer à émettre des gaz à effet de serre sans remettre en question notre modèle de développement.

« Le monde n’est absolument pas sur la bonne trajectoire pour respecter les objectifs de l’accord de Paris »

le Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE). 

La logique derrière l’initiative du milliardaire apparaît imprégnée par cette approche capitaliste de la crise environnementale, à l’image de la startup américaine Stripe qui propose depuis octobre 2020 à ses clients de rediriger une partie des revenus de leurs transactions vers un fonds dédié au financement de start-up développant des technologies de capture et de stockage de CO2 :

« La mission de Stripe est de faire croître le PIB d’Internet. Or le changement climatique est le plus gros risque à court terme pour la croissance économique », avance Nan Ransohoff, la directrice de la division climat de la start-up californienne, qui a préféré concentrer ses efforts sur le retrait du CO2 déjà présent dans l’atmosphère plutôt que sur la baisse des émissions. Business as usual, en somme !

Le deuxième problème majeur que pose l’initiative d’Elon Musk porte sur la capacité des nouvelles technologies à atteindre leur objectif. Sur ce point l’exemple de la startup suisse Climeworks est révélateur. L’entreprise, en pointe sur les techniques de capture directe de CO2, ambitionne de capter 1% des émissions de dioxyde de carbone mondiales d’ici 2025. Son site pilote basé en Islande devrait ainsi être en mesure de collecter 4 000 tonnes de CO2 par an en vitesse de croisière. Intéressant, sauf que pour espérer approcher son objectif de 1% il faudrait que les usines Climeworks poussent partout comme des champignons. Vous aimez les champs d’éoliennes et les mers de panneaux solaires ? Vous allez adorer les « skylines » de turbines à CO2 ! Industrialisation quand tu nous tiens…

Pièges à CO2 développés par la startup Climework. Source : Climeworks.

Et peu importe si ces grands projets industriels sont encore loin d’être rentables et si leur déploiement à grande échelle anéantira leurs éventuels bénéfices sur l’environnement – bilan carbone des installations, artificialisation des sols, dévastation des paysages… La perspective de pouvoir capter, recycler et surtout revendre le CO2 crée l’emballement. Si Bill Gates, Jeff Bezos et Elon Musk se ruent sur le filon, soyez certain d’une chose : l’environnement n’est pas la principale motivation.

Les solutions naturelles, seule alternative crédible

Une étude publiée en 2019 par des chercheurs de l’école polytechnique de Zurich révèle qu’à l’échelle de la planète nous pourrions « reforester » une surface d’environ 900 millions d’hectares – équivalente au Brésil – et ainsi capter plus de 200 milliards de tonnes de CO2.

L’étude précise toutefois que si « les nouvelles forêts peuvent jouer un rôle pour éponger l’excès d’émissions de carbone, la seule façon de stabiliser le climat est de faire baisser à zéro les émissions de gaz à effet de serre, ce qui signifie des réductions drastiques des émissions de combustibles fossiles et de la déforestation ».

Face à cette capacité bien documentée des forêts et autres puits de carbone naturels, les alternatives industrielles soutenues par le monde de la « Tech » paraissent anecdotiques voire illusoires.

Pour le botaniste Francis Hallé, spécialiste mondial des forêts primaires, « la photosynthèse reste la meilleure innovation en matière de captation du carbone. Si j’en juge aux recherches qui sont menées par ceux qui misent sur les nouvelles technologies, nous sommes sur des modèles qui ne sont pas très éloignés de ceux des arbres. Or la biomimétique devrait plutôt nous inciter à utiliser les systèmes vivants que d’imaginer des imitations artificielles. L’innovation n’est certainement plus dans cette industrialisation, qui évoque plutôt le « monde d’avant » pour reprendre une formule à la mode. Innover consisterait plutôt à miser sur les dynamiques extrêmement puissantes de la nature – forêts et océans en tête – pour trouver des solutions efficaces face à la crise climatique. »

Sans oublier un détail : une nature préservée offre un spectacle infiniment plus réjouissant qu’une planète industrialisée.

Et le naturaliste d’ajouter : « il faudrait faire le bilan entre ce qu’on gagne à détruire la nature et ce qu’on perd. Le déduire des gains industriels, car on n’intègre jamais dans ces comptabilités fallacieuses la perte de tous les services que nous rend la nature. Ma conviction est que le jour où le PIB intègrera les services rendus par la nature, les forêts vaudront de l’or. Avis aux investisseurs… »

Ma conviction est que le jour où le PIB intègrera les services rendus par la nature, les forêts vaudront de l’or. Avis aux investisseurs…”

Francis Hallé, botaniste, expert mondial des forêts primaires.

Justement, Warren Buffet a dit un jour « quelqu’un s’assoit à l’ombre aujourd’hui parce que quelqu’un d’autre a planté un arbre il y a longtemps. » Un conseil que pourrait méditer Elon Musk.

Photo principale : Alex Mateo / Alamy Stock Photo. Elon Musk, 2018 Austin, Texas.

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