Voies ferrées, autoroutes, zones commerciales, fermes photovoltaïques… Les grandes infrastructures qui maillent notre territoire couvrent une immense surface foncière incluant des centaines de milliers d’hectares non bâtis. Longtemps perçus comme un centre de coûts pour les grands groupes qui les exploitent, ces espaces se muent progressivement en champs des possibles pour des entreprises soucieuses de réduire leur empreinte écologique et par la même occasion leurs charges d’entretien. Green Praxis ambitionne de révolutionner ce marché en proposant des solutions basées sur la nature. À la clé, un chiffre d’affaires potentiel estimé à 200 millions d’euros.
À la tête de cette startup établie au Technopôle de l’Arbois près d’Aix-en-Provence, Martin Guillaume, ingénieur informatique passé par IBM et Stanford. L’entrepreneur, qui a cofondé Green Praxis avec Jérôme Di Giovanni – docteur en biologie – concède avoir fait « un gros choix » en quittant un job confortable pour se consacrer pleinement à ce projet, tenaillé par « un sentiment d’urgence face au changement climatique ». Une décision qu’il ne semble pas regretter, puisque trois ans après le début de l’aventure Green Praxis annonce le succès de 5 opérations pilotes ouvrant la voie vers un déploiement à plus grande échelle en France et en Europe. Ses clients s’appellent Vinci, Véolia, SNCF Réseaux ou encore TotalEnergies.
Gérer le foncier autrement
« Les nouvelles réglementations environnementales obligent les opérateurs à trouver des alternatives à la chimie, et notamment au glyphosate, pour gérer le végétal. Or s’ils veulent éviter de voir les coûts d’interventions mécaniques exploser, ils doivent innover. Ça tombe bien, la nature offre des solutions. Nos experts naturalistes s’en inspirent, avec l’appui des nouvelles technologies et de l’IA » résume Martin Guillaume.
Green Praxis réalise ainsi un état des lieux des biotopes en combinant vues aériennes et données locales, complétées d’analyses bioacoustiques à l’aide d’une technologie brevetée permettant de mesurer l’état de la faune. Le diagnostic sert ensuite à l’élaboration d’un plan de gestion durable selon quatre indicateurs clés.
« Le premier indicateur est économique, puisqu’en proposant des solutions qui impliquent moins de gestion, on permet aux entreprises de réduire leurs coûts d’entretien du végétal d’au moins 20%. Quand on parle de très grandes surfaces pouvant couvrir des centaines voire des milliers d’hectares, ça parle » explique l’entrepreneur.
Il y a ensuite le volet biodiversité, étudié à l’aide de différentes mesures, notamment acoustiques, pour voir si les actions mises en œuvre ont permis de favoriser le retour de la faune. Ces données peuvent être utiles pour recréer des habitats propices à certaines espèces menacées ou encore aménager des corridors écologiques.
Le troisième indicateur est relatif au carbone – moins d’entretien et de coupes signifie plus de séquestration carbone – le quatrième s’intéresse à l’atténuation des risques, notamment les inondations, canicules, sécheresses, incendies et pollutions.
« On sait par exemple qu’un couvert végétal est propice au stockage de l’eau dans les sols, qu’il atténue les risques d’inondations et réduit les îlots de chaleur. Autant d’éléments pris en compte dans le réaménagement de certaines zones artificialisées, c’est par exemple le cas d’une zone commerciale à Cannes pour lequel nous avons été interrogé. Certaines espèces végétales ignifuges peuvent également prévenir les incendies, d’autres ont des propriétés intéressantes pour capter les particules fines » énumère Martin Guillaume.
La technologie intervient pour modéliser l’ensemble des données et délivrer des recommandations intégrant les 4 variables économique – biodiversité – carbone – atténuation des risques. Les experts affinent ensuite pour produire une stratégie de gestion adaptée aux contraintes et aux attentes du client. Plusieurs scénarios d’actions sont systématiquement proposés, permettant de visualiser les différents impacts possibles.
Recréer des écosystèmes fonctionnels
Conscient que certaines espèces invasives comme la renouée du Japon prospèrent sur des terrains pauvres en biodiversité, Green Praxis adopte une approche écosystémique en misant sur les interactions entre espèces – ou « cortège végétal » – testant ce qui fonctionne sur des petites parcelles avant d’opérer à plus grande échelle.
« Certaines solutions utilisent les nouvelles technologies et l’IA pour optimiser la gestion mécanique ou chimique de la végétation dans une approche destructive, nous misons plutôt sur le bio-mimétisme en s’inspirant d’écosystèmes stables pour trouver des solutions qui fonctionnent dans la durée. Dans cette logique nous pratiquons l’ensemencement sélectif d’espèces autochtones qui permettent pour certaines de réduire l’emprise des espèces invasives. Quoiqu’il en soit n’y a pas de solution miracle, ce sont toujours des équilibres subtils à trouver. On permet de réduire le nombre d’interventions tout en enrichissant les milieux, diminuant du même coup l’empreinte écologique des acteurs économiques. Rien que ça, c’est déjà beaucoup » estime Martin Guillaume.
« Timing is everything »
Avant de se lancer l’entrepreneur s’est naturellement demandé si les grands propriétaires fonciers seraient prêts à un tel changement de paradigme dans la gestion des espaces.
« On s’est bien sûr demandé si les acteurs étaient prêts à engager un réel changement dans leurs pratiques de maintenance. Mais clairement c’est maintenant que cela se passe, pour preuve nous rencontrons peu de freins dès lors qu’on prouve que la solution fonctionne, qu’elle peut être déployée et que par ailleurs nous amenons de la simplicité en fédérant un écosystème de prestataires jusqu’ici très éclaté. Plus besoin pour le client de faire appel à un bureau d’étude, de réunir tous les corps de métier en mode projet avec le coût important que cela représente. Absorber cette complexité avec un focus sur les coûts a permis d’accélérer la phase décisionnelle » ajoute Martin Guillaume.
« L’autre avantage de s’appuyer davantage sur les écosystèmes que sur des experts, aussi compétents soient-ils, est que l’on évite les biais cognitifs. »
Ça tombe bien, l’urgence climatique ne nous laisse plus guère le droit à l’erreur.
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