Ils sont nombreux à se contrecarrer du réchauffement climatique, à guetter le Black Friday et à se demander quand les restaurants pourront enfin réouvrir, « parce que y’en a marre du COVID ! On a envie de se faire plaisir ! » Difficile de leur en vouloir quand jusqu’au sommet de l’État la question environnementale est traitée comme un sujet chiant parmi tant d’autres.
Pourtant, s’ils savaient… Promenade sur le pont du Titanic (avant la collision).
Comme des crabes dans une casserole
C’est un souvenir qui m’a longtemps hanté. Nous étions en vacances d’été à Carnac, j’avais 6 ans. Mon père avait ramené des crabes vivants du marché et je m’étais empressé de les relâcher dans une grande bassine d’eau douce pour qu’ils se sentent plus à l’aise… je n’imaginais pas leur funeste destin !
Mon père s’était finalement laissé convaincre de les plonger d’abord dans l’eau froide pour les laisser cuire à feu doux « parce que c’est meilleur pour la chair » lui avait soutenu le poissonnier. C’était dans les années 80, le bien-être des animaux et des crustacés en particulier n’était pas une préoccupation (l’est-elle d’ailleurs jamais devenue ?).
Déjà sensible à la cause animale, je m’étais immédiatement attaché à mes compagnons à pinces. Aussi, lorsque mon père les récupéra pour les plonger un par un dans une grande casserole qu’il posa sur le feu, je fus saisi d’effroi. Comprenant que leur sort était scellé en dépit de mes plaintes, je décidai de les accompagner jusqu’au trépas.
Étrangement, tandis que la température de l’eau montait progressivement, mes crustacés semblaient plutôt à leur aise dans cette eau tempérée qui me semblait effectivement plus agréable que la banquise artificielle sur laquelle ils avaient été exposés au marché.
On aurait même dit qu’ils dansaient sous les tropiques. Mais rapidement je réalisai que ce que j’interprétais comme des manifestations d’allégresse étaient plutôt des signes de détresse, et agitant leur pinces mes crabes essayaient désespérément de s’enfuir de la casserole. Leur agonie fut terrible et plus de 30 ans après je me souviens encore du bruit des pinces sur le couvercle. Après cela nous n’avons plus jamais cuisiné de crabe.
Ce souvenir m’est revenu à l’esprit l’autre jour lorsque je fis remarquer à une amie que Paris n’avait apparemment jamais connu autant de jours ensoleillés consécutifs et que chaque mois battait des records de chaleur.
Celle-ci me rétorqua que ça lui convenait parfaitement, ajoutant même « plus il fait beau, plus il fait chaud, plus chui contente ». Cette réaction désinvolte face à un événement d’une telle gravité me fit l’effet d’une commotion cérébrale. Cette fille qui avait fait des études supérieures, qui était informée, n’avait manifestement pas connaissance que nous vivions une grave crise climatique et quand bien même elle le savait, elle n’en avait manifestement pas mesuré la portée.
Mais si elle, elle en est encore là, où en sont les autres ? me dis-je. Sont-ils comme ces crabes plongés dans l’eau tiède, qui n’ont pas conscience de ce qu’il se passe sous la casserole ? Ne voient-ils pas que nous sommes en route vers l’enfer ?
C’est l’amer constat que fait Jean-Marc Jancovici, qui a tiré des statistiques de 1000 interventions données, sur l’envie de s’informer autour de l’énergie et du changement climatique. Ingénieur consultant en énergie/climat, diplômé de Polytechnique, enseignant à Mines ParisTech, Jean Marc Jancovici est président fondateur de The Shift Project – think tank qui œuvre en faveur d’une économie libérée de la contrainte carbone. En clair, sur la question du climat, « JMJ » est un mec solide. Un point qui a son importance dans l’époque troublée dans laquelle nous vivons où les croyances concurrencent régulièrement les faits établis.
Il ressort notamment de son étude que l’envie de s’informer apparaît globalement très faible (en tout cas beaucoup trop faible, selon son auteur, compte tenu de l’importance de l’enjeu) au sein du milieu médiatique. Le spécialiste des questions énergétiques et climatiques avoue recevoir très peu de demandes de la part d’organismes de formation des journalistes et très peu de demandes de conférences internes de la part de directions de médias (« et parfois ce n’est pas faute d’avoir proposé ! » précise-t-il).
JMJ ajoute que cette envie de s’informer reste également très faible au sein du milieu politique. « Même pendant les universités d’été, nos chers élus s’écoutent les uns les autres, mais n’en profitent pas pour retourner à l’école. Pourtant, comme ce n’est ni à l’ENA ni à Sciences Po qu’ils ont fait suffisamment de physique et de maths pour s’y retrouver facilement dans l’énergie et le changement climatique, ça ne leur ferait pas de mal de prendre quelques cours… » commente-t-il avec un brin d’ironie.
Si la crise du COVID a permis de lever le voile pendant une brève fenêtre médiatique sur le « mur du réel », la réalité de la crise (voir la conférence « on a déjà transformé notre planète en enfer » de Aurélien Barrau) apparait sans doute encore trop lointaine pour provoquer la mobilisation qui s’impose. Nous sommes pourtant bien capables de nous mobiliser à l’échelle mondiale, la crise du COVID nous l’a prouvé avec un plan de relance européen de 750 milliards d’euros voté en quelques mois, faisant lui-même écho aux centaines de milliards d’euros mobilisés pour sauver le système bancaire au lendemain de la crise des subprimes.
« Winter Summer is coming »
« Le Mur est tombé, les Marcheurs Blancs entrent dans Westeros et leur prochain objectif est Winterfell. » Tous ceux qui ont suivi la série Game of Thrones se souviennent du dénouement tant redouté…
Or Game of Thrones, on est en plein dedans ! Les marcheurs blancs sont incarnés par le réchauffement climatique et la menace qu’il fait peser sur notre civilisation est tout aussi immense et imminente, sans comparaison avec toutes les crises précédentes.
Pour en comprendre les grandes lignes, voici l’état des lieux dressé par JMJ en juin lors d’un webinar organisé par le Centre des Jeunes Dirigeants d’entreprise (CJD). Il résume la situation en présentant « 2 faits saillants » :
1. L’accord de Paris n’a pas plus réglé le problème du climat que les négociations qui ont eu lieu avant et que celles qui ont eu lieu depuis. Il suffit d’observer la courbe d’évolution du dioxyde de carbone dans l’atmosphère, qui conditionnera le réchauffement climatique. On voit très clairement que ce niveau de CO2 augmente de manière constante depuis environ 50 ans. Donc la question n’est pas de savoir si nous faisons trop peu, il s’agit tout simplement de constater que nous ne faisons rien.
2. En ce qui concerne le climat, toute décision prise aujourd’hui n’aura aucune répercussion avant 20 ans. En effet, le CO2 étant un gaz chimiquement inerte qui décroît très lentement une fois qu’il se trouve dans l’atmosphère, le réchauffement dans les 20 prochaines années est embarqué dans nos émissions passées. Donc si on se projette dans 20 ans, quelques soient les décisions que nous prenons aujourd’hui, ça ne changera rien et tous les scénarios nous mènent à la même trajectoire de hausse jusqu’en 2040 environ. On voit donc bien que nous allons taper les 2 degrés quoiqu’il arrive, avec à la clé des choses très disruptives dans les 20 ans qui viennent, quand on voit déjà ce qu’il se passe aujourd’hui à +1 et quelques degrés on peut déjà se faire une idée.
Une grave erreur serait de croire qu’à +2 degrés, les choses seront simplement 2 fois plus graves que dans un scénario à +1 degrés. Elles peuvent-être 50 fois ou 200 fois plus graves (principe des boucles de rétroaction).
Pour comprendre à quel point quelques degrés de variation sont importants, il suffit de jeter un coup d’œil à la carte de l’Europe il y a 20 000 ans et de la comparer au continent que nous connaissons aujourd’hui. Il y a 20 000 ans il faisait alors beaucoup plus froid. En Suède, en Allemagne en Irlande et en Ecosse on était littéralement noyé sous la glace et en France, à Lyon, on aurait pu chausser les skis devant sa porte. Puis en 10 000 ans, le climat a gagné 5°. On a donc une expérience grandeur nature d’un réchauffement comparable à celui que nous allons peut-être connaître… dans le siècle en cours (!).
Pour le dire simplement, quelques degrés de hausse en 1 siècle, ce sera la guerre absolument partout avec, pour le dire pudiquement, une pression énorme sur la population humaine et son espérance de vie.
En clair, on n’en sera plus à parler de la réouverture des commerces et de la récession de 10% qui en comparaison seront une blague.
Dans un monde à +4 degrés, il ne sera tout simplement plus possible de se tenir à l’extérieur dans de vastes zones habitées de la planète. Dans toute l’Inde par exemple, la température annuelle moyenne sera supérieure à celle observée dans une partie du Sahara. Donc cela va remettre en cause la vie de milliards d’individus qui ne vont pas rester chez eux à crever la gueule ouverte. Des déplacements massifs de population vont avoir lieu et cela ne va pas se faire dans une ambiance de colonie de vacances…
Un récent rapports du GIEC nous indique que dès 3° nous arriverons à une instabilité alimentaire partout sur terre.
Cela n’est qu’un aperçu du paysage apocalyptique qui nous attend si nous ne changeons pas de direction radicalement, immédiatement.
Aujourd’hui, à cause de l’inertie du CO2 nous sommes déjà embarqués sur un réchauffement à 1,5°. Pour se maintenir à 2 degrés de hausse d’ici la fin du siècle, il faudrait diviser les émissions planétaires par 3 entre maintenant et 2050, c’est à dire environ 4% de baisse d’émission par an dès maintenant. Ce qui reviendrait à l’équivalent d’un COVID supplémentaire par an pour rester sous la barre des 2 degrés. On voit bien dans ce schéma que le modèle de croissance tel que nous le connaissons n’est pas tenable.
Ce modèle repose essentiellement sur les énergies fossiles émettrices de CO2 qui ont fait notre puissance et la croyance dans un modèle de croissance structurelle de long terme. En conséquence, la croissance du PIB est une fonction linéaire des émissions de CO2 et donc, du réchauffement climatique.
La seule solution, si nous voulons nous en sortir et avoir une chance de gérer les changements qui s’annoncent, serait une mise au régime extrêmement rapide qui correspond à une économie de guerre qui ne pourra être, concrètement, qu’une économie en contraction.
En définitive, tout sauf le monde libéralisé auquel nous sommes attachés.
Alors on fait quoi ?
Les solutions existent. Le Shift Project, pour citer un exemple de modèle alternatif crédible, prépare un Plan de transformation de l’économie française (PTEF). Ce Plan doit permettre de dresser les grandes lignes d’un chemin conduisant la France à se décarboner au bon rythme, et à se rendre résiliante face aux chocs. Il s’agit pour l’instant d’une vision globale de la transformation qui sert de point de départ pour mobiliser les acteurs sectoriels et territoriaux concernés. Le Rapport de Synthèse présente 20 fiches qui exposent, pour chacun des 15 secteurs économiques traités, les axes de transformation envisagés et une description après transformation, ainsi que les prérequis en matière d’emploi afin que la transformation puisse s’opérer. Par ici pour en savoir plus et contribuer.
Fiche de synthèse « Agriculture & alimentation » :
S’il ne fallait retenir qu’une seule chose : être dans le « faire » chacun à son niveau, ne pas croire que l’action se joue ailleurs. Il s’agit d’enclencher une dynamique dans laquelle chaque acteur, qu’il soit particulier, entrepreneur, associatif, entreprise ou décideur, devra nécessairement être impliqué. À nous tous d’enclencher la dynamique !
Merci ,cela nous permet vraiment de bien comprendre l’urgence de la situation . A faire lire et partager un maximum …