Consternation au salon de l’agriculture

samedi 11 avril 2020

C’était en février 2018, j’avais pris mes billets pour visiter le mythique salon de l’Agriculture à la Porte de Versailles.

Ce salon permet (encore) de mesurer la richesse exceptionnelle du terroir français, sa diversité aussi. L’une des plus belles illustrations se trouve sans doute dans le hall des éleveurs où sont bichonnés vaches, moutons, cochons et autres petits animaux de basse-cour. Sur le ring défilent les plus beaux taureaux dans la catégorie poids lourds, sous le regard charbonneux des magnifiques Tarines venues tout droit des pâturages alpins. Ébahis, les enfants ne perdent pas une miette des concours organisés pendant la manifestation, autant d’occasions pour nos éleveurs de faire connaître un fabuleux patrimoine vivant aujourd’hui gravement menacé.

Menacé par l’uniformisation générale du monde agricole et la disparition des spécificités locales qui ont forgé nos paysages et notre identité depuis des siècles, voire des millénaires. En effet des dizaines de races d’animaux d’élevage ont disparu avec l’émergence d’une agriculture calquée sur le modèle industriel. On pense à cette agriculture intensive qui recrépit nos paysages, on le constate en observant les champs qui bordent l’autoroute ou la ligne TGV (la ligne Paris – Lyon est l’une des plus emblématiques).

Symptômes visibles : les haies –  véritable prouesse d’association de la nature et des cultures – sont arrachées, les arbres plantés par les anciens au milieu des champs, dans l’intérêt mutuel de la nature et des cultures, dépérissent sans être replantés. Les monocultures s’étendent à perte de vue et tandis qu’autrefois les cultures associées dessinaient un joli bocage tout en limitant la propagation des maladies et des nuisibles, aujourd’hui la chimie (engrais et traitements) supplante le savoir-faire ancestral de nos paysans.

Pour l’élevage cette effrayante mutation est moins visible puisque les bêtes vivent entassées non plus dans des fermes à ciel ouvert mais dans des usines où on fait (sur)vivre des animaux de souche industrielle. La mosaïque des races présentée au salon de l’agriculture n’est plus qu’un lointain souvenir, la carte postale d’une belle époque révolue.

Les consommateurs ne voient rien de tout cela car la nourriture issue de cette filière industrielle subit plusieurs transformations avant d’être présentée en rayons dans de beaux packaging. De fait, si les vidéos choc de l’association L214 n’avaient pas étalé cette horreur sur nos écrans, nous n’aurions certainement pas pu mesurer dans quel cauchemar vivent et meurent les animaux qui nous nourrissent au quotidien.

Il y a bien entendu un gagnant dans cette histoire, en l’occurrence la filière agro-industrielle et son redoutable business model : tous les acteurs de la chaîne y sont pieds et poings liés. Les agriculteurs enferrés dans une course au rendement pour rembourser leurs dettes et survivre, des consommateurs biberonnés au concept d’une alimentation pour « pas cher ». Pendant ce temps les profits sont engrangés par les multinationales de l’agrobusiness au prix de notre santé et de celle d’une planète qui nous montre, chaque jour un peu plus, des signes d’épuisement alarmants.

Cette réalité m’est apparue comme une gifle lorsqu’en pleine visite du salon de l’Agriculture je me suis retrouvé devant l’immense stand de l’enseigne discount Lidle, non loin du stand MacDonald.

À cet instant je ne sais pas ce qui m’a le plus consterné, la présence de ces enseignes annoncée à grands renforts de campagnes publicitaires jusque dans les couloirs du métro, ou l’affluence des familles qui se pressaient pour récupérer quelques produits offerts. Sur le stand MacDo un espace était même prévu pour l’accueil des enfants. Pendant que les parents étaient abreuvés de vidéos et slogans rassurants sur la qualité des « menus made in France », une charmante hôtesse racontait aux bambins la fabuleuse histoire du bœuf MacDonald.

Comment a-t-on pu perdre à ce point le sens commun ?

Comme on dit, il y avait un éléphant dans la pièce. Comprenez quelque chose de profondément choquant, inacceptable, consternant. À quelques mètres de distance, dans une zone chaque année réduite au profit des grandes enseignes, des agriculteurs se démenaient pour parler de leur passion malgré des conditions de travail toujours plus difficiles (un éleveur touche généralement moins que le smic et les agriculteurs travaillent en moyenne 53 heures par semaine), tandis que de l’autre côté de l’allée on se pressait sur les méga-stands de ceux qui s’engraissent sur la misère du monde agricole.

Victimes et bourreaux réunis. Les uns avec la passion pour seule arme, les autres avec des ressources financières colossales mobilisées dans un lobbying intensif à grande échelle.

Et au milieu les consommateurs, dont une immense majorité a plus souvent sillonné les allées de l’hypermarché que celles d’un champ.

À nous, à vous qui lisez ces lignes, certainement conscient du problème, de rejoindre la minorité active pour enclencher un changement des comportements. Puisqu’on estime qu’au-delà de 10% une minorité engagée peut entraîner les 90% vers un changement de modèle, il y a de l’espoir.

Pour les courses passez le message : LSD pour « Local, de Saison et en Direct ».

Et si vous avez la chance de vous rendre au salon de l’agriculture, allez plutôt encourager nos éleveurs et nos producteurs régionaux qui ont tant besoin de vous !

Partager :

0 commentaires

Soumettre un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

articles similaires

Recevez le meilleur
de votre magazine
Le Terrien

eget commodo libero libero ipsum velit, felis id, Phasellus vulputate, porta.

Recevez le meilleur de votre magazine

Inscription réussie !