« On doit faire renaître notre capacité d’émerveillement face au vivant » Rozenn Torquebiau, autrice de livres pour la jeunesse

lundi 26 juin 2023

Autrice d’ouvrages pour la jeunesse sur le thème du vivant, Rozenn Torquebiau propose une approche singulière où l’apprentissage est fait d’émerveillement et de poésie. Dans son dernier livre « L’étonnante vie des Plantes », co-écrit avec le botaniste Francis Hallé, cette ancienne institutrice offre une passionnante leçon de choses pour les enfants de 7 à 77 ans. Rencontre.

Parler d’écologie aux plus jeunes en parlant des plantes plutôt que des animaux, c’est un pari audacieux !

L’idée de ce livre est arrivée après « Timili et la forêt des pluies » publié il y a cinq ans, où il était déjà question des plantes, vues par une petite fourmi, Timili, qui se promène dans la canopée de la forêt tropicale sur une feuille de Salsepareille transformée en tapis volant !

De nombreuses découvertes sur les plantes ont été faites ces dernières années. On sait désormais que les plantes coopèrent entre elles, ont de l’odorat, de l’ouïe et bien plus. Il fallait absolument que nous parlions de cela avec Francis Hallé. C’est ainsi qu’est née notre coopération qui a abouti au livre « L’étonnante vie des plantes », magnifiquement illustré des dessins de Francis. Donc oui, je confirme, on peut aussi bien parler du vivant avec les plantes qu’avec les animaux !

– L’émerveillement, la poésie, sont très présentes dans ce livre, en même temps que la connaissance…

Nous voulions amener les connaissances au fil d’une histoire, comme une pelote que l’on déroulerait avec plaisir. Montrer que dans un milieu naturel, il y a cette notion de plénitude, d’émerveillement ! Nous voulions exploiter ce sentiment-là. Même dans un livre scientifique il faut faire attention au style, à la beauté de la langue et des images, à la poésie même. Cela me fait penser à Francis Martin, un mycologue (expert des champignons) qui adopte un style très fluide et agréable qui fait que l’on a plaisir à lire même sur un sujet aussi complexe. C’est comme cela qu’il faut écrire si on veut pouvoir transmettre des connaissances au public. Nous avons veillé à éviter les mots alambiqués et à expliquer simplement les concepts compliqués. C’était un point de vigilance essentiel, notamment pour expliquer la photosynthèse.

Je crois que c’est grâce à votre livre que j’ai enfin compris ce concept (rire)

Sur ce sujet il ne fallait pas se rater, car j’en ai lu des explications pas claires sur la photosynthèse ! On a donc fait très attention car tout découle de là. C’est LE processus qui est à la base de toute la vie sur terre, il fallait que les gens comprennent bien que les plantes se nourrissent d’eau et de gaz carbonique, grâce à l’énergie de la lumière, et que ce faisant, elles captent le carbone, libèrent de l’oxygène et de la vapeur d’eau, ce qui fait qu’elles sont à la base de tout ce qui nous est nécessaire : l’oxygène, la captation du gaz carbonique, la génération de la pluie et bien sûr la nourriture !

Où avez-vous développé cette passion pour les plantes ?

Je me vois encore petite au milieu des fleurs plus grandes que moi. C’est un univers dans lequel j’ai toujours baigné et je me suis passionnée très tôt pour les plantes médicinales. Je n’ai pas fait d’études scientifiques, j’ai principalement appris sur le terrain et en lisant. Nous avons eu la chance de beaucoup voyager – en Indonésie, au Kenya et en Afrique du Sud notamment – et d’aller à la rencontre de peuples qui entretiennent un lien intime avec la nature.

Je dois dire que j’ai été autant fascinée par les plantes que par les êtres humains, en particulier les peuples premiers.

Y-a-t-il un peuple qui vous a plus marqué dans son rapport à la nature ?

Ces peuples premiers justement, que l’on appelle aussi les peuples racines, en particulier les Bushmen d’Afrique du Sud, quasiment éradiqués, qui pourraient être les plus proches ascendants d’Homo-sapiens. Des humains infiniment respectueux du vivant. Ils n’ont pas le même rapport de possession et de main mise sur l’environnement que nous. C’est une rencontre qui m’a énormément marquée et inspirée.

J’ai aussi été impressionnée par les Indonésiens de Java. Malgré une densité de population très élevée j’ai observé à Java une remarquable gestion de l’environnement et en particulier de l’eau, dans les rizières notamment, via des réseaux de canaux très ingénieux. La gestion collective de l’eau est civilisatrice.

En 2023, transmettre la connaissance sans effrayer en matière d’écologie, c’est une gageure. Vous avez trouvé la ligne de crête ?

Oui, j’essaie. Je suis très vigilante là-dessus car je sais que pour que les gens se mettent en mouvement dans le monde, ils doivent avoir le sentiment qu’ils peuvent agir quelque part. Je suis consciente des difficultés, je suis forcément un peu inquiète aussi, mais je ne laisse pas cette inquiétude prendre trop de place en moi sinon je ne pourrais plus agir. Faire quelque chose de positif, ça aide à vaincre l’éco-anxiété. Quand j’anime des visioconférences sur la forêt en libre évolution (au sein de l’Association Francis Hallé pour la Forêt Primaire), je parle de la forêt naturelle et de son fonctionnement extrêmement complexe et efficace. J’explique qu’un jardin, un coin de cour d’école ou une haie laissés en évolution libre peuvent déjà être un magnifique terrain d’observation et d’expérience.

On commence à réaliser que pour que le monde aille mieux, il faut laisser la nature fonctionner toute seule. Le message commence vraiment à imprimer, c’est très encourageant. 

Il y a certes un regain d’intérêt autour du vivant et des arbres en particulier, mais soyons honnêtes, beaucoup de gens sont encore loin de s’y intéresser…

C’est certain, on part de très loin en matière de connaissance du vivant. Nos modes de vie nous en ont éloigné.. Mais ça reste un défi passionnant de sensibiliser le public au vivant. Quand je vois les yeux d’une personne s’illuminer parce qu’elle a compris comment fonctionne une forêt, quel bonheur !

Bibliographie

  • Derrière la paroi, 2014, éditions Planète Rêvée
  • Le rêve de Nasha, 2014, éditions Planète Rêvée
  • Le tableau magique de Tanzanie, 2008, éditions L’Harmattan
  • Le secret du tableau magique de Tanzanie, 2017, éditions L’harmattan
  • Timili et la forêt des pluies, 2018, éditions Museo
  • L’étonnante vie des plantes, 2021, Actes Sud Junior.

Photo principale : Rozenn Torquebiau explique aux étudiants de la Faculté d’Éducation de Montpellier comment transcrire les concepts dans une fiction pour enfants (album « Timili et la forêt des pluies »). Crédits / Valérie Delebecque.

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