Par une journée caniculaire d’août, c’est ce bel euphémisme qui frappe les badauds qui s’aventurent jusqu’aux grilles qui séparent le port d’Antibes du carré VIP réservé aux palaces flottants. Le fameux « quai des milliardaires » accueille les super-yachts de 80 à 120 mètres, formant une skyline futuriste en contraste avec le vieux fort Carré en arrière-plan. C’est ici qu’on peut apercevoir quelques-uns des plus impressionnants méga-yachts du monde. Le Symphony du milliardaire Bernard Arnaud y a déjà accosté, on devrait y voir tout bientôt (se murmure-t-il) la dernière folie de Bill Gates, un méga-yacht de 120 mètres nécessitant d’importants travaux d’aménagement sur le quai.
Fuck la sobriété
Stationné à l’entrée de la fameuse digue, l’ostentatoire Stefania et ses 41 mètres ferait presque modeste. Avec sa structure en aluminium et son design agressif, le navire offre pourtant un avant-goût de la démesure qui préside dans cet univers totalement inaccessible au commun des mortels.
Pour cause : compter 170 000 dollars la semaine (!) pour une escapade de 10 personnes à bord de ce yacht. Le bateau dispose de 5 grandes suites avec spa, jacuzzi et grande piscine sur le pont « pour se baigner sans avoir à mettre un pied dans la mer » promet la brochure.
Pendant les heures chaudes on y profite du soleil au frais – le navire est intégralement climatisé s’il était nécessaire de le préciser – en sirotant une coupe de champagne confortablement installé devant la (vraie) cheminée à bois du salon.
Avec son réservoir de 29 600 litres et une consommation moyenne de 1500 litres/heure, ce monstre des mers peut atteindre une vitesse de 21 noeuds, procurant – on l’imagine – un certain sentiment de puissance. Cette promesse ne figure certes pas dans la brochure mais elle transpire quelque peu dans l’attitude du monsieur sur le pont.
Quant-à l’empreinte écologique, elle est absolument indécente. « Do I look like I care ? » (Est-ce que j’ai l’air de m’en soucier ?) semble assumer fièrement ce plaisancier anglophone.
Vous l’aviez deviné, ici on ne donne pas dans le luxe subtil, le raffinement. On vise carrément la démesure, fuck la sobriété !
Depuis la fin des confinements le secteur de la grange plaisance affiche une santé insolente, dopé par des milliardaires en quête d’intimité. Un rapport du cabinet d’analyse maritime VesselsValue confirme la tendance : les carnets de commandes des armateurs sont pleins. Et vu de la plage c’est le même constat : l’armada qui afflue l’été dans la Baie d’Antibes apparaît chaque année plus impressionnante.
Bombes climatiques flottantes
Un spectacle qui laisse pour le moins perplexe, alors que la France brûle littéralement sous l’effet du réchauffement climatique.
La foule qui observe depuis la plage ce défilé indécent, à qui on demande de faire toujours plus attention à sa consommation, à ses voyages, à ses comportements du quotidien… acceptera-t-elle encore longtemps qu’une minorité s’affranchisse de sa responsabilité avec un mépris aussi manifeste pour l’intérêt général ? Il reste sans doute encore quelques enseignements à tirer du mouvement des “gilets jaunes”…
Une certitude néanmoins : à mesure que les forces de la nature vont resserrer l’étau, ces injustices flagrantes risquent d’être source d’instabilité croissante.
Dans ce contexte la planification écologique, censée mettre en action toutes les composantes de la société pour atteindre la neutralité carbone en 2050, amène un peu d’espoir. Car en effet comment imaginer que ces bombes climatiques flottantes restent en marge de l’inévitable métamorphose à venir ?
À la question « Qu’est-ce que la planification ? » Sébastien Treyer, directeur de l’Institut du développement durable et des relations internationales (Iddri) parle d’une véritable méthodologie, relevant – entre autre – la nécessité d’un “suivi d’évaluation exigeant, avec des points d’étape et une logique contraignante si le changement n’a pas lieu”.
Si la planification s’applique à tous dans une logique de proportionnalité – les plus gros pollueurs étant amenés à devenir les plus gros contributeurs à l’effort collectif – le business des yachts devrait donc, en toute logique, connaître un profond retournement.
Quoiqu’il en soit, si la planification n’y parvient pas, les lois de la physique s’en chargeront. Car sur Terre, rien n’est « Limitless ». *
(*) En référence à l’un des plus grands yacht du monde, propriété d’un milliardaire américain.
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