« C’est de l’ombre qu’il nous faut ! De cette ombre douce qui nous soulage des touffeurs de la ville, qui nous invite à savourer la fraîcheur et la lumière que seuls dispensent de beaux houppiers sous lesquels il sera bon de se promener, de s’arrêter pour partager un verre ou simplement rêver. » Caroline Mollie, architecte – paysagiste, auteure de « Des arbres dans la ville » (Actes Sud, 2009) résume ici le rôle essentiel des arbres et l’urgence à les réintégrer dans le paysage urbain tandis que le thermostat climatique s’affole un peu plus chaque été.
S’il est beaucoup question de replanter, en particulier dans les villes comme Paris où la végétalisation est amenée à changer d’échelle – le nouveau PLU bio-climatique de la capitale vise 300 hectares d’espaces verts supplémentaires dans les deux décennies à venir – il existe une autre facette moins évoquée, celle de la gestion du parc arboré existant. Or celle-ci a considérablement évolué en faveur d’une moindre intervention, comme en témoigne Vincent Jeanne, président de la Société Française d’Arboriculture, association regroupant 450 professionnels spécialisés dans la gestion des patrimoines arborés. Rencontre.
– Votre association représente les professionnels de l’arboriculture d’agrément, en particulier les arboristes grimpeur, métier que vous exercez. Quelle est la différence avec un élagueur ?
Le terme d’élagueur est un peu réducteur, je préfère le terme d’arboriste grimpeur dans la mesure où le métier a profondément évolué, à mesure que la connaissance des arbres a mis en évidence les vertus d’une gestion durable. L’arboriste travaille dans l’adéquation entre les arbres et leur environnement, d’un point de vue pragmatique et non interventionniste. Concrètement nous sommes des spécialistes de l’arbre qui travaillent en conscience, nos interventions reposant sur une meilleure compréhension rendue possible par le travail des scientifiques avec lesquels nous collaborons étroitement.
Je précise que notre sphère d’intervention se limite à l’arboriculture d’agrément, car quand on parle de gestion on pense volontiers à la filière forestière, aux pépinières et à l’arboriculture fruitière… Notre filière concerne tout ce qui se situe hors production, c’est à dire la gestion des patrimoines arborés, que ce soit dans le privé ou au sein des collectivités.
La Société française d’arboriculture (SFA) s’adresse plus largement à tous les passionnés, tous ceux qui souhaitent faire prendre conscience de la valeur des arbres d’agrément, promouvoir des pratiques de gestion raisonnée et faire progresser la connaissance sur ce patrimoine vivant qui rend de multiples services aux hommes et aux territoires, particulièrement dans le contexte actuel de changement climatique.
– L’évolution du paysage arboré dans le contexte du réchauffement climatique soulève beaucoup d’interrogations, on pense notamment au dépérissement accéléré de certaines espèces et au réflexe d’intervention pour prévenir certains risques – notamment en ville. Comment cela se passe-t-il, pour vous qui êtes en première ligne ?
Notre métier et nos méthodes de travail évoluent en fonction de l’avancée des connaissances scientifiques et s’il est une chose que l’on a appris ces dernières années, c’est que la gestion ne doit plus impliquer une intervention systématique. Des personnes comme l’ingénieur horticole Christophe Drénou, spécialiste de l’architecture des arbres, qui plébiscite la non-taille et l’observation de l’arbre, ont contribué à faire évoluer les pratiques dans ce sens.
Christophe Drénou insiste sur la nécessité de laisser le temps aux arbres car leur existence se passe sur une autre échelle temporelle. Cela pose beaucoup de questions, notamment en ville où soit dit en passant la longévité d’un arbre excède rarement cinquante ans, contrairement à son milieu naturel où l’intégralité des cycles de croissance d’une espèce comme le chêne – pour citer la plus connue – peut s’échelonner sur plusieurs siècles.
Dans le contexte actuel d’accélération et d’intensification du réchauffement climatique, l’observation et la meilleure compréhension des espèces et de leur habitat est sans doute encore plus essentielle.
Après, il est certain que voir un arbre dépérir, cela attriste forcément. Mais si on sort de l’aspect sentimental pour se concentrer sur une approche scientifique, on voit que l’arbre est capable de s’adapter à beaucoup de situations. Voir à ce sujet la conférence de Christophe Drénou (Le temps des Arbres ; Toulouse, le 7 mars 2020).
– On observe effectivement beaucoup d’arbres morts dans les champs qui bordent les grands axes, notamment les chênes pourtant réputés résistants. Comment expliquer cette accélération manifeste des dépérissements ?
Effectivement, c’est particulièrement le cas cette année dans le nord de la France pour le chêne pédonculé, une espèce qui supporte mal le stress hydrique. Ce qui peut d’ailleurs sembler paradoxal puisqu’il y a eu d’importantes précipitations dans le courant de l’été, malgré cela beaucoup de chênes semblent avoir séché sur pied. Le phénomène est à relier aux faibles précipitations relevées pendant la période de recharge hivernale, faisant suite à plusieurs années consécutives de sécheresses et de canicules… Les organismes déjà fatigués n’ont pas eu assez de réserves pour entamer leur croissance annuelle à la période du débourrement, et donc les pluies intenses de l’été ont plutôt bénéficié aux premières strates végétatives.
– Si j’ai dans mon jardin un arbre avec des branches mortes, préconisez-vous de les couper ?
Pas systématiquement. Autrefois nous avions le réflexe de retirer tout le bois mort, notamment pour des raisons esthétiques. Aujourd’hui on réalise que ce bois mort comporte de nombreuses vertus, il sert de gîte à la faune et offre le couvert à d’autres espèces sans fragiliser l’arbre. Le bois mort fait partie du cycle naturel de l’arbre, quand il tombe au sol il est dégradé par des micro-organismes et contribue à enrichir le sol. Tant qu’il n’est pas tombé, le bois mort influe sur la biomécanique de l’arbre et lui permet notamment de s’adapter aux contraintes du vent. En d’autres termes l’arbre adapte sa morphologie en fonction de l’environnement. Si le houppier (la partie supérieure de l’arbre) est dense et que l’on retire le bois mort, cela peut créer des passages d’air et fragiliser sa structure.
Encore une fois, l’intervention n’est pas toujours nécessaire, elle doit être réfléchie et justifiée. Il est possible de retirer une partie du bois mort d’un arbre dans un contexte de mise en sécurité, après une évaluation du risque.
– En vous écoutant on se dit que vous devez avoir un gros travail de communication.
Absolument, notre premier rôle est de faire de la pédagogie. Il arrive même que dans le cadre d’une intervention, après avoir réalisé un diagnostic de l’arbre, on préconise de ne rien faire.
– Un arbre bien taillé n’est donc pas forcément votre arbre préféré…
Ah non, je préfère de loin un arbre vétéran, ces arbres singuliers que l’on a laissés tranquilles et qui portent une riche biodiversité, je pense notamment à des vieux chênes ou à des hêtres près de chez moi, en Normandie. Ce sont des arbres que l’on remarque avec un regard large non porté sur l’esthétique, en tout cas pas sous le sens habituel un peu trop aseptisé !
Extrait de l’article « La Canopée en milieu urbain, un enjeu de taille ? » de Jac Boutaud, paru dans la Lettre de l’Arboriculture (mai/juin 2023), la revue bimestrielle éditée par la Société Française d’Arboriculture :
« La symétrie est tellement imprégnée dans la culture européenne – et en particulier française – qu’elle est présente dans nombre de compositions paysagères contemporaines et qu’elle est mise en œuvre pour tailler les arbres, comme les arbustes, de la même façon du côté des contraintes que du côté où la ramure pourrait s’exprimer en toute liberté.
L’autre raison principale évoquée pour rejeter les formes mixtes fortement dissymétriques est la crainte de la fragilité mécanique. Comment l’arbre pourrait-il être solide, s’il est plus chargé de branches d’un côté ? Comment ses racines vont- elles pouvoir le maintenir debout ? C’est oublier que nous rencontrons régulièrement des arbres présentant naturellement une telle dissymétrie : arbres de lisière de boisement, arbres de petits groupes assez denses formant un seul houppier collectif, arbres de bord de mer soumis aux vents forts et aux embruns, etc. Tous ces arbres adaptent progressivement leur architecture et leur structure aux conditions du milieu ! Ils mettent en place du bois de réaction et installent un système racinaire qui leur permet de se maintenir et de résister aux aléas aussi bien voire mieux que des arbres au houppier bien régulier. »
Photo principale de l’article : chêne pédonculé centenaire sur la place du village de Fleury-la-Vallée, dans l’Yonne.
Hello,
Ce qui m’a attristé dans le cadre de ma reconversion ces derniers jours, c’est l’utilitarisme froid, cette impression de chosification universelle de l’arbre sans se soucier le moins du monde de sa réelle biologie, voire la nier, le fait que c’est aussi un être vivant qui communique avec les autres végétaux. Juste un outil isolé de captage à CO₂ et/ou de pièce de régulation thermique à mettre en place pour flatter les consciences de tous à coups de compensations stupides, mais bon à être abattu s’il devient dangereux ou intéressant pour en faire du pellet et éventuellement le remplacer par un clone plus sage et productif s’il ne survit pas au-delà d’une année.
Pour situer cette image, nous avons dû tailler des Morus australis dans une cours d’école maternelle. Les feuilles étaient encore vertes, un mauvais tour du climat fou. Soit, fragilisons-le un peu plus après cet été. Chose courante pour cette essence, le dessus de la structure était déjà bien fendue et le duramen dans un état parfois… farineux. Nous avons même eu une frayeur pour l’un d’entre nous.
Bref. Une commande comme une autre.
Mais quand on constate que pour les bambins, les arbres c’est bien même quand pourris à l’intérieur, c’est la nature, ça fait de l’ombre et tout, que le sol déjà artificialisé s’est avancé jusqu’au pied de chaque arbre, au dessus du collet, pour ne pas salir les classes – si si, nous avons eu droit à une petite réflexion qui me conforte en ce sens, ça laisse un vilain goût quant à la façon dont beaucoup de personnes les perçoivent encore.
Nous les savons condamnés à court terme ces végétaux, nous aurions volontiers abrégé leurs souffrances comme ce fut pour l’un d’entre eux (un trou béant d’une souche), mais cela signifierai ne plus pouvoir traiter correctement d’autres sujets dans l’immédiat. Cette passion morbide à faire souffrir le vivant en pensant faire le bien et flatter sa fibre esthète et aseptisante, c’est quelque chose, pour moi, que nous devons absolument oublier sinon détruire sans scrupules.
Puisse la SFA se faire bien entendre.
Faire souffrir le vivant va bien plus loin aujourd’hui puisque toutes nos forêts subissent des coupes à blanc pour exporter vers la Chine qui elle a choisi de protéger ses forêts !! Et L’ONF justifie ses coupes en prétextant la maladie de l’encre dans certaines régions !