C’est le côté sombre de la puissance des réseaux sociaux : les fake news et autres théories du complot y pullulent à tel point que des intox reprises en boucle peuvent progressivement y acquérir valeur de vérité. Des faits scientifiques établis se retrouvent ainsi fragilisés au risque de retarder la prise de conscience et l’action face au bouleversement climatique. Nous avons rassemblé un florilège des intox les plus lues sur les réseaux sociaux et demandé à une experte climat d’y répondre. Dorota Retelska a été chercheuse en Sciences à l’Ecole polytechnique de Lausanne. Elle écrit des livres sur le sujet (L’antarctique-Ouest dans le vide, Kindle) et tient un blog d’expert sur le site du journal suisse Le Temps, où elle décrypte les nouvelles climatiques.
1. Le climat a déjà connu des changements, c’est un cycle naturel
« Il est vrai que le climat a déjà connu des changements provoqués par des modifications de l’orbite terrestre, l’activité volcanique ou encore l’action d’une météorite. Toutefois les « changements naturels » auxquels on fait généralement référence, comme l’évolution de l’orbite terrestre, se sont échelonnés sur des dizaines de milliers d’années. Or le réchauffement actuel se joue sur quelques décennies (!) et surtout, fait nouveau, il découle des activités humaines. Nous parlons donc d’un phénomène incomparable aussi bien dans son rythme que dans ses causes.
Le réchauffement que nous observons depuis la révolution industrielle est directement lié à nos émissions de CO2, produites principalement par l’exploitation des énergies fossiles, charbon et pétrole en tête. Il est parfaitement modélisable et à partir de ces calculs nous pouvons anticiper le réchauffement. Dès 1975 Wally Broecker avait ainsi calculé que la température augmenterait de plus d’un degré en 2020. Le réchauffement suit les estimations des scientifiques depuis plus de 40 ans et malheureusement, sans grande surprise, il se révèle beaucoup plus rapide que les variations naturelles du climat.
Par conséquent cet argument du « cycle naturel », qu’on entend régulièrement, démontre qu’il y a encore un gros travail d’information à mener. C’est fâcheux car nous manquons vraiment de temps pour cela, c’est un euphémisme. Beaucoup trop de gens tardent à comprendre ce qu’il se passe et beaucoup d’autres préfèrent tout simplement ignorer.
2. Les humains ne sont pas autant responsables des changements qu’on le dit
On préfèrerait tellement ne pas être responsables. Mais malheureusement les faits sont têtus : le réchauffement que nous mesurons depuis l’avènement de la révolution industrielle au 19ème siècle suit implacablement la courbe ascendante des émissions de CO2 émises par les activités humaines. Donc sauf preuve du contraire, les humains sont à l’origine du réchauffement climatique actuel. D’ailleurs si l’augmentation de CO2 dans l’atmosphère se poursuit sur la tendance actuelle sans réaction de notre part, la température moyenne augmentera de 4 degrés en moyenne d’ici la fin du siècle. Concrètement cela signifie que chez nous l’Est de la France subira des vagues de chaleur qui pourront dépasser 50°C. Ces températures insupportables seront accompagnées d’une aggravation des phénomènes météorologiques extrêmes.
La réalité, c’est que sans la présence de l’Homme, la planète irait vers un refroidissement. En effet la Terre suit un cycle de glaciations et de réchauffement, le cycle de Milankovitch causé par des lents changements de l’orbite terrestre. Aujourd’hui nous sommes dans la phase de refroidissement de ce cycle naturel long de quarante et un mille ans. Au lieu de cela, les activités humaines nous mènent dans une période de réchauffement.
3. Le GIEC n’est pas l’organisation la plus objective, beaucoup de scientifiques réfutent ses conclusions mais on ne les entend pas forcément.
Le GIEC – Groupement d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat – évalue depuis plus de 30 ans l’état des connaissances sur l’état du climat. Cet organisme international est ouvert aux 195 Etats membres des Nations Unies. Il ne mène pas de travaux de recherche, son rôle consistant à synthétiser les connaissances existantes, en particulier à l’attention des décideurs.
Des millions ont été investis dans des pseudo-institutions scientifiques pour nier les conclusions du GIEC. Ses détracteurs sont loin d’être les plus objectifs dans la mesure où ils sont souvent financés par les compagnies qui exploitent les énergies fossiles. Ce procès en illégitimité est d’autant plus incompréhensible que le GIEC est réputé prudent dans ses conclusions, il ne rassemble que des données rigoureusement vérifiées. De nombreux experts craignent même que les conséquences du réchauffement climatique aillent bien au-delà des pires scénarios du GIEC dans la mesure où des incertitudes demeurent sur des facteurs aggravants tels que la fonte du permafrost Arctique qui pourrait libérer d’immenses quantités de gaz à effet de serre dans l’atmosphère.
4. Avant de parler d’écologie, réglons les inégalités sociales et sauvons notre économie
Selon l’ONU, le climat est le plus grand problème de l’Humanité. Les aléas climatiques provoquent déjà des inondations, des sécheresses et des migrations avec des conséquences considérables sur l’économie. Nous sommes très proches d’un seuil critique au-delà duquel le bouleversement se muera en véritable cataclysme pour l’espèce humaine. Donc dire que l’écologie n’est pas LA priorité, cela revient à privilégier des travaux de peinture dans une maison dont le toit s’effondre. Clairement, il coûtera moins cher de prendre des mesures pour prévenir ces destructions que d’en subir les conséquences.
5. L’écologie c’est une préoccupation de (pays) riches
Le réchauffement climatique menace tout le monde sur Terre sans exception, et malheureusement les plus pauvres sont souvent les plus exposés. En 2016 des chaleurs extrêmes ont ainsi causé la plus grande famine de l’histoire en Afrique de l’Ouest, le bétail y mourrait littéralement de chaleur. Cette année comme l’année dernière, le delta du Mékong en Asie a subi des températures de 40°C dès le printemps, accompagnées de sécheresses historiques. Les températures extrêmes en journée obligeant les paysans à travailler la nuit à la lampe frontale. En Amérique on observe une multiplication des sécheresses, des feux de forêt et des tempêtes. Un tiers du territoire de la Colombie a été coupé du reste du pays par des glissements de terrain après des pluies diluviennes… En Australie, tout le monde reste traumatisé par les feux d’une ampleur sans précédent. Ce ne sont là que quelques exemples d’un bouleversement majeur et global.
Pour ce qui est des pays les plus riches ils sont les plus gros émetteurs de carbone certes, mais ils sont aussi les plus à même d’apporter des solutions. Nous pouvons nous passer d’un voyage en avion, remplacer le chauffage au charbon par le chauffage solaire et agir de mille autres façons pour changer le cours des choses tout en vivant aussi bien, voire mieux !
6. De toute façon il est trop tard pour changer le cours des choses
Il n’est pas trop tard, mais plus nous tardons à agir plus les mesures à adopter seront radicales. L’UNEP (programme de l’ONU pour l’environnement) demande de réduire les émissions de carbone de 7,6% à partir de 2020. Cette année, nous avons atteint cet objectif grâce à un confinement de deux mois. Si nous attendons encore, alors même que les colossaux plans de relance mis en œuvre nous offrent une fantastique fenêtre de tir pour réorienter les dynamiques, il faudra ensuite les réduire plus brutalement encore. Si nous tardons trop, le réchauffement climatique paralysera notre civilisation. Certains préparent déjà un avenir sans la civilisation industrielle, mais nous serions bien plus en sécurité si nous évitions un effondrement aux conséquences catastrophiques.
7. La France représente moins de 1% des émissions de gaz à effet de serre
L’Europe peut donner l’exemple et imaginer un nouveau système de consommation que les pays en voie de développement s’empresseront de suivre. Elle peut construire des villes aux habitations mieux isolées, avec des transports publics efficients et propres, des mobilités alternatives douces, des systèmes d’énergie non émetteurs de CO2, de nouvelles exploitations agricoles de petite taille en agroécologie à même de fournir en circuits courts les populations avoisinantes, créer de nouvelles réserves de biodiversité bénéfiques pour la faune, la flore et les humains, structurer les nouvelles filières de collecte et de recyclage des déchets, promouvoir la végétalisation des espaces artificialisés pour favoriser la captation du carbone, la régulation du climat, la rétention et le filtrage des ressources hydriques… La liste n’est pas exhaustive, ce qu’il faut retenir c’est que la période troublée que nous vivons offre de formidables opportunités pour réinventer, innover ! Et inspirer nos partenaires dans le monde.
8. Réglons d’abord la question de la démographie
La démographie est sans aucun doute une problématique majeure, mais certainement pas autant que celle du climat qu’il nous faut absolument attaquer de front et sans attendre. C’est vraiment le dernier moment pour le faire. En ce qui concerne la démographie, toutes les études convergent pour dire que la solution passera par l’indépendance des femmes, en particulier via l’accès à la contraception qui permettra un contrôle plus efficace des naissances. Mais sérieusement… au rythme où s’enchainent les bouleversements climatiques, la démographie est-elle vraiment le problème? Il est malheureusement probable que le réchauffement climatique provoque des bouleversements tels que la population mondiale pourrait décroître brutalement. On anticipe notamment le retour des grandes famines, mais cette fois-ci à l’échelle du globe.
9. Les écologistes sont extrémistes, ils représentent un danger pour la démocratie
La planète subit des dommages qui menacent concrètement la vie sur Terre. Le bouleversement climatique, l’effondrement de la biodiversité et la pollution plastique sont des problèmes majeurs qui nous affectent tous, qu’on soit écologiste ou non. Les écologistes ne souhaitent rien d’autre qu’instaurer une nouvelle manière de vivre sur terre plus résiliante, où nous ne mourrons pas du climat et des conséquences d’un mode de vie qui nous mène droit dans le mur. Si c’est cela être extrémiste, alors nous devrions tous l’être !
10. Les responsables sont… les État-Unis, la Chine, les GAFA, le transport aérien, l’agriculture intensive (sous-entendu ce n’est pas à nous de changer, mais à d’autres)
Il va falloir édicter des règles strictes pour certaines activités fortement émettrices de gaz à effet de serre comme le transport aérien, l’agriculture intensive et le commerce international et taxer ces activités fortement émettrices pour encourager la réduction et le développement en parallèle d’alternatives non émettrices ou faiblement émettrices de gaz à effet de serre. Certaines activités nuisibles pour le climat devront également être tout simplement interdites, au risque de choquer certains. On ne peut plus accepter que des pans entiers d’activité et des groupes internationaux polluent impunément alors qu’on demande en parallèle aux particuliers de changer leur façon de vivre. Ce changement des comportements individuels est néanmoins indispensable, il doit aller de pair avec ces réformes. Car comment imaginer transposer dans la loi des obligations qui n’auraient pas de prise concrète dans la société ? Ce chantier sera collectif ou ne sera pas.
Comme l’a dit Gandhi, soyez le changement que vous voulez voir dans le monde ! »
Photo principale : the New York public library – Unsplash
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