L’art de cultiver avec les arbres

jeudi 21 mai 2020

Lucie Maurel est étudiante ingénieure agronome à Montpellier SupAgro, elle nous explique en quoi consiste l’agroforesterie, cette technique agricole millénaire qui consiste à associer les arbres et les cultures. La jeune femme a parcouru l’Amérique latine à la découverte de l’agriculture traditionnelle chez les peuples autochtones, elle réside actuellement chez Steven Werner, « expérimentateur » agricole en agroforesterie dans le Tarn.

Bienvenue dans un petit coin du Tarn, ses collines verdoyantes et ses hameaux épars. Au détour des vignobles, prairies et champs de blé, un petit terrain de 1 hectare détonne par sa singularité.

Ici toutes sortes d’arbres sont plantés en lignes. Des fruitiers, mais aussi des saules, peupliers et paulownias, un arbre à l’étrange silhouette de lampadaire. En s’approchant on aperçoit également des pieds de cassis, groseilles, fraisiers, artichauts, salades, betteraves, fèves et même des vignes escaladant les saules… de tout jeunes arbres dont les graines ont été semées démarrent leur croissante à l’abri de cette dense végétation. Dans quelques décennies, ils constitueront un nouvel étage de ce riche écosystème.

L’association des cultures et des arbres forme une composition esthétique sans pareil.

Entre la féverole et la monnaie du pape, pousse un tout jeune châtaignier (au milieu de l’image).

Quelle est cette étrange agriculture qui mêle les arbres et les cultures annuelles ?

Il s’agit d’agriculture syntropique, une agriculture qui prône la diversité et l’évolution du système agricole vers un état écologique d’abondance. Elle fut développée voilà 50 ans au Brésil par le chercheur Suisse Ernst Götsch, référence internationale en systèmes agroforestiers et en agroécologie. Ses recherches portent sur les coopérations qui s’opèrent lors de l’association des arbres et des cultures.

L’un de ses élèves, Steven Werner, expérimente ses techniques ici en France depuis 2017.

La syntropie désigne le mouvement de convergence d’un état simple et désorganisé vers un état complexe organisé. Le monde vivant converge vers un état d’abondance, dans lequel on peut récolter sans appauvrir. Ici, tout est basé sur la compréhension des mécanismes du vivant, de l’échelle moléculaire à l’échelle de l’écosystème.

L’Homme, au même titre que n’importe quel animal, a sa place dans l’écosystème. Il modifie son environnement pour produire de la nourriture. Il provoque volontairement des « perturbations » qui favorisent la croissance végétale. De la même façon qu’un éléphant qui coucherait des arbres sur son passage pour se nourrir des fruits. Ernst Götsch parle non pas de compétition mais de coopération entre les êtres vivants. Le défi agricole devient tant technique, que scientifique et philosophique.

Sur cette photo, un autre type de système agroforestier, à la ferme du Bec-Hellouin, en Normandie.

Concrètement, le point fondamental est de comprendre quelle plante a besoin de quelle quantité de lumière afin de lui permettre de croître dans les conditions optimales. Le système comprend ainsi plusieurs strates (ou étages) de végétation. La taille régulière d’arbres à croissance rapide permet de faire rentrer la lumière et ainsi d’augmenter la photosynthèse sur les strates inférieures.

La taille provoque un réaction racinaire, la libération d’un signal de croissance capté par les plantes aux alentours via le réseau mycorhizien (champignons du sol qui relient les racines entre elles).

Le milieu est plus humide, plus frais, le vent s’y engouffre moins. Les vers de terre et autres organismes décomposeurs du sol trouvent quotidiennement leur lot de victuailles, qu’ils transforment en éléments nutritifs disponibles pour une belle croissance des végétaux.

Pourquoi planter si densément ?

En forêt – qui rappelons-le, est l’état d’abondance des écosystèmes sous nos latitudes – le sol couvert de litière abrite des plantes à différents stades de croissance avec une très forte densité d’espèces. Pour garantir cet état naturel d’abondance et assurer la succession des différentes strates végétales, le sol doit être nourri en permanence à partir de la matière végétale produite et décomposée sur place.

 Steven Werner : « Un paysage se transforme rapidement, dans chaque climat et sous toutes les latitudes. Nous avons de puissants alliés pour récupérer des terres dégradées : les arbres à croissance rapide, souvent mal aimés pour leur caractère invasif, mais qui sont des atouts majeurs pour créer rapidement un environnement arboré. Si sur le même espace nous plantons des arbres à croissance rapide, à croissance plus lente et des arbres fruitiers, nous assurons des forêts productives pour nous-mêmes, pour nos enfants et pour les générations futures. Afin d’accélérer la succession végétale, nous viendrons couper et restituer au sol les espèces qui ont fini leur cycle, puis nous dynamiserons en élaguant les arbres pour qu’ils repoussent vigoureusement.

Nous travaillerons ainsi dans un environnement agréable et produirons une alimentation saine, pleine des vitamines et des minéraux que les arbres savent si bien aller puiser dans les profondeurs de la terre. Avec cette forme d’agriculture nous tendons à nous affranchir de tout intrants et traitements, qu’ils soient chimiques ou naturels. « L’intrant principal est la connaissance du vivant », nous rappelle souvent Ernst Götsch. »

Pas de traitement, pas d’irrigation

Rapidement, les résultats sont là. Même s’il est encore tôt pour parler des récoltes tandis que l’exploitation fête sa deuxième année, la croissance vigoureuse des plants et la variété impressionnante d’espèces sur un si petit espace force l’admiration. Surtout lorsqu’on réalise que ce système de culture n’implique aucun intrant ou produit phytosanitaire, ni même d’irrigation. L’exploitation est pensée avec une mécanisation réduite au strict minimum, seule la main d’œuvre sera indispensable pour récolter tout au long de l’année.

Ce qui fascine en agroforesterie, c’est que chaque élément joue son rôle, à commencer par l’arbre : il est véritablement l’allié de l’agriculteur, puisant les minéraux, structurant le sol de ses racines, protégeant les cultures et les hommes du soleil ardent.

Il « suffit » d’apprendre à le connaître, à observer le fonctionnement de nos forêts.

La plus grande récompense est probablement de voir son champ en évolution et en amélioration permanentes, et pouvoir aller faire sa sieste sous l’ombre des peupliers qui chantent dans le vent.

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1 Commentaire

  1. PETREMANT

    L’aégroécologie et foresterie sont vraiment très prometteuses pour notre avenir. Les forêt jardin ou forêt comestibles se développent et vont très certainement se développer dans les années à venir.

    cela donne plein d’espérance.

    Réponse

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