Aurore Mathieu est responsable des Politiques Internationales auprès du Réseau Action Climat – fédération de 37 ONG qui travaillent sur le changement climatique – en charge notamment du suivi des négociations climatiques dans le cadre des COP. Elle revient pour nous sur les points clés de la COP 27 qui se tient en Égypte du 6 au 18 novembre.
– Avez-vous le sentiment que l’accélération du dérèglement climatique fait bouger les lignes à la veille de cette nouvelle COP ?
Il y a une prise de conscience de plus en plus réelle des dirigeants sur la nécessité d’agir mais qui se traduit encore peu en actes, même à l’approche de la COP où on est encore loin de voir ce qu’on aimerait voir, à savoir des gestes politiques forts pour baisser les émissions encore plus rapidement.
Lors de la précédente COP à Glasgow les pays s’étaient pourtant mis d’accord pour revenir cette année avec des plans de réduction des émissions plus importants, or on n’a que 23 pays qui ont soumis des nouveaux plans auprès des Nations Unies. Sur la question des financements les pays développés n’ont toujours pas fourni les 100 milliards promis aux pays en développement pour les aider à engager leur transition. Donc les discours sont là, les actes beaucoup moins.
On constate aussi sur le plan énergétique que dans le contexte de la guerre en Ukraine de nombreux pays rétropédalent sur l’exploitation des énergies fossiles, notamment du gaz naturel liquéfié. Autant de signes qui vont à l’encontre des engagements pris.
– L’idée de la fin de l’abondance a marqué la rentrée, ce qui laissait entendre qu’on allait – enfin – se projeter sur le long terme, mais finalement on ne parle que des pénuries d’énergie cet hiver…
Il y a vraiment une grande difficulté à planifier sur le long terme avec un temps politique qui n’est pas aligné avec la perspective climatique. Il y a parfois des sursauts de prise de conscience mais pas encore d’action systémique de grande ampleur, il n’y a toujours pas ce grand récit, on pose encore des petits pansements.
– Peut-on espérer des avancées pour cette COP de Charm El-Cheikh en Egypte ?
On est sur une COP de la mise en œuvre, il s’agit de délivrer les promesses, la volonté de la présidence égyptienne est d’ailleurs de « rentrer dans le dur » de la mise en œuvre. Sauf que celle-ci se fait au niveau national, domestique. Or le gros enjeu va être sur la réponse aux impacts qui sont de plus en plus palpables, et cela doit passer notamment par le financement au profit de pays et de communautés livrées à elles-mêmes alors même qu’elles sont très exposées et pas ou très peu responsables des dommages qu’elles subissent. La COP 27 doit se décentrer de la seule réduction des émissions, même si cela reste très important et doit rester bien sûr au cœur des négociations.
En même temps, les pays du nord doivent donc aussi apporter une réponse aux impacts que subissent les populations du sud. Cela fait plusieurs années que cette question de la finance est un point de tension, dans un contexte de COP Africaine, un continent particulièrement touché par les impacts climatiques, on attend logiquement qu’elle apporte un début de réponse sur ce point.
– Pourtant on sent que les choses bougent au niveau des pays, des institutions et des opinions publiques, on se rappelle du secrétaire général des Nations unies Antonio Guterres en visite au Pakistan dévasté par les inondations qui disait « n’avoir simplement pas de mots » pour décrire ce qu’il avait vu… Qu’est-ce qui bloque pour mobiliser ces 100 milliards par an pour les pays pauvres ?
Oui au niveau des pays on sent que les choses bougent effectivement, en revanche en matière de solidarité internationale c’est une autre histoire. Or un des principes fondamentaux de la crise climatique est qu’une minorité de pays en sont responsables, ceux-là même qui ont le plus la capacité d’y répondre. Les pays riches. La lutte ne se fait pas que chez soi, il y a toute une diplomatie climatique à intégrer. Certains pays comme les États-Unis et l’Australie sont prêts à réduire leurs émissions domestiques, en revanche ils sont quasiment absents sur la question des finances climat, ils donnent très peu aux pays du sud. C’est comme s’ils n’avaient qu’une partie de leur politique climatique qui était fonctionnelle. Alors même qu’une division entre pays du nord et pays du sud se creuse face à l’incapacité des pays du nord à payer leur dette climatique, ce qui permettrait de surcroît d’avoir des négociations apaisées sur bien d’autres sujets.
À ce jour on ne sait toujours pas quand les 100 milliards seront mobilisés. En 2020 on était à 83 milliards, ça augmente chaque année mais on est encore en retard, pareil pour la finance privée qui ne contribue pas suffisamment aux objectifs climatiques du sud et sont très peu mobilisés sur la question climatique, fournissant encore beaucoup trop d’argent aux entreprises des énergies fossiles malgré des effets d’annonce qui relèvent trop souvent du green washing.
– La planète s’est déjà réchauffée de 1,2 degrés par rapport à l’époque pré-industrielle et on mesure l’importance du dérèglement que cela engendre. Dans leur récente synthèse Le Programme des Nations unies pour l’environnement et l’ONU Climat évoquent un réchauffement de 2,8 degrés d’ici la fin du siècle, avec à la clé des conséquences difficilement imaginables. Il n’est pas trop tard ?
On va dépasser les 1,5 degrés, cette bataille-là est sans doute déjà perdue. En revanche nous avons d’autres objectifs à tenir, le premier étant de limiter les émissions de 45% à l’horizon 2030, or clairement on n’est toujours pas dedans puisqu’à l’échelle de la planète on augmente encore nos émissions, surtout depuis la reprise post COVID. On n’est donc pas dans la bonne trajectoire, mais cela ne veut pas dire qu’on ne peut pas la rectifier. Ce n’est pas le moment d’être défaitiste, on peut encore agir pour limiter au maximum ce dépassement et je vous assure que ça vaut le coup quand on sait quel est l’impact de chaque dixième de degré supplémentaire !
C’est précisément la mission des organisations comme le Réseau Action Climat : pousser la France d’abord à respecter ses engagements pris sur le plan international, ensuite à être moteur de cette dynamique.
– L’action est-elle un bon remède contre l’éco-anxiété ?
Absolument, même si les actions de chacun sont bonnes à prendre mais ne suffisent pas. En démocratie le vote compte beaucoup aussi !
Photo principale : vue du Kilimanjaro depuis le Parc National Amboseli, au Kenya / Sergey Pesterev. Quel que soit le scénario climatique, au moins un tiers des glaciers classés au patrimoine mondial de l’humanité sont amenés à disparaître d’ici 2050, alertait l’Unesco à quelques jours de la COP 27 en Égypte. Le Kilimandjaro figure parmi les glaciers les plus emblématiques menacés, de même que ceux du Yellowstone, des Dolomites ou encore les glaciers des Pyrénées-Mont Perdu en France et en Espagne.
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