15 clés pour un jardin vivant

dimanche 01 novembre 2020

En matière de jardin il n’y a pas de solution à tout, pas “la” chose à faire, mais une vaste gamme de cas particuliers, d’articulations, des champs des possibles très variables. Vous trouverez ici une série de petites clés applicables dans bien des cas pour favoriser la présence d’un maximum d’espèces vivantes dans votre jardin, celle-ci étant liée à votre région, votre terroir, la configuration du lieu et ce qui l’entoure. Des petits gestes simples pour que la biodiversité – et tout ce qu’elle peut apporter de positif dans votre jardin – soit préservée et stimulée.

1. Préserver au maximum l’existant 

Vous avez pris possession de votre nouvelle maison et vous avez bien l’intention de vous « approprier » l’espace, à commencer par le jardin ! Exit le tas de pierre, la jachère sauvage et ses espèces invasives qui poussent n’importe où, sans oublier les branchages qui traînent… Vous voulez que ça “fasse propre”. Attendez, pas si vite !

Aussi invraisemblable que cela puisse paraître, un équilibre s’est formé dans ce jardin qui n’est pas, a priori, celui que vous souhaitez. Oui, un véritable petit écosystème, avec toute sa biodiversité. Virer tout cela par réflexe serait une hérésie. Faire table rase pour créer un jardin écologique peut même s’avérer nuisible pour la biodiversité locale, la bonne méthode consistant plutôt à limiter l’action du jardinier et ajuster ses interventions en fonction de la topographie propre à chaque jardin. 

Avant toute chose, il faut sortir de la logique panurgienne du jardin de lotissement avec son éternelle haie de thuya, ses pétunias, son rosier et son gazon égalisé au millimètre. Des gens détruisent ainsi des biotopes fabuleux : par exemple, en dégageant un vieux tas de terre pour planter des fleurs mellifères on risque de déloger abeilles sauvages, carabes ou autres précieux représentants de la diversité tels orvets, troglodytes mignons ou musaraignes.

On peut tout à fait concilier biodiversité et beauté, à condition d’être ouvert d’esprit et d’accepter peut-être de revoir ses ambitions à la baisse. Apprendre à poser la bêche, changer les choses a minima, laisser la Nature faire. L’idée n’est pas (forcément) d’avoir une friche, bien-sûr, mais on doit d’abord garder les outils rangés avant de les dégainer pour de mauvaises raisons. Cette (nouvelle) philosophie, c’est la clé du succès pour tout jardinier.

Dans son jardin expérimental situé au nord de la Bourgogne, Éric Lenoir a su prouver par l’exemple que la nature accomplit des miracles lorsqu’on lui fiche la paix. Sur cette parcelle de 1,7 hectares, qui n’était à l’origine qu’un champ de monoculture, le paysagiste a recréé en quelques années un écosystème d’une richesse incroyable. En s’appuyant sur une solide connaissance des associations de végétaux, il a modelé un paysage digne d’une toile impressionniste. Lorsqu’on pénètre dans cet écrin sauvage bordé de champs monotones, on est immédiatement frappé par la vie qui y foisonne et le contraste saisissant avec les parcelles environnantes, véritables déserts de biodiversité. Libellules, papillons et butineurs pullulent dans ce petit paradis. Des oiseaux nichent un peu partout entre les hautes herbes, les arbustes et les roseaux qui bordent le plan d’eau. Ici la faune évolue dans son état originel: l’abondance. La clé de cette incroyable réussite : intervenir peu, beaucoup observer !

2. Trop de ruches !

Bien sûr qu’on ne va pas tirer sur les abeilles et tant mieux si grâce à elles les gens comprennent le rôle vital de nos pollinisateurs dans l’équilibre du vivant. Mais à force de mettre des ruches partout on commence à observer une surpopulation d’abeilles domestiques causant une pénurie de nectar et de pollen pour les autres espèces polinisatrices. Or les abeilles domestiques c’est un peu du bétail, ne l’oublions pas. D’ailleurs si elles ne rapportaient pas d’argent on n’aurait certainement pas pondu une loi contre les néonicotinoïdes qu’on a alors seulement qualifiés de “tueurs d’abeilles” alors qu’ils tuent en réalité un gigantesque pan du vivant sauvage. Cette histoire de ruches installées un peu partout, c’est un peu comme si on lâchait des moutons dans les montagnes pour sauver les ongulés sauvages. Ça ne sauve pas les chamois, bouquetins et autres mouflons qu’au contraire on met en concurrence avec les troupeaux, en les privant de leurs zones de pâturage et donc en les repoussant toujours plus loin dans des secteurs de plus en plus hostiles. Idem pour nos abeilles domestiques. Agissez plutôt pour les centaines d’espèces d’abeilles sauvages et autres invertébrés tout aussi précieux qui disparaissent de nos campagnes dans l’indifférence. Pour cela pas besoin d’une ruche, simplement d’une petite réserve de biodiversité dans le jardin respectant les quelques conseils ici évoqués.

3. Conserver les arbres morts

Par anthropomorphisme, nous avons le réflexe de sortir la tronçonneuse dès qu’un vieil arbre montre des signes de faiblesse. Or s’il va de soi de mettre papi en terre après le trépas, il n’en va pas de même pour un vieux chêne dont la mort sur pied s’inscrit dans le cycle de vie de la nature. En effet il vivra quasiment une deuxième vie en fournissant le gîte et le couvert pour de nombreux insectes, mammifères et oiseaux tels que les chouettes, faucons, pics, troglodytes, sitelles et mésanges. À ce propos, saviez-vous que le déclin des chauves-souris s’explique notamment par le fait qu’elles ne trouvent plus de troncs creux pour nicher ? Si vous avez des arbres morts, laissez-en au moins un pour nos amis du jardin. Si vous craignez pour votre sécurité, contentez-vous de débarrasser l’arbre mort de l’essentiel de sa ramure, il lui restera encore un tronc très intéressant pour l’écosystème local et le risque qu’il chute sera bien moindre durant de nombreuses années, faute de prise au vent. 

Chêne centenaire partiellement mort – Château de Cormatin (71).

4. Pas obligé d’avoir un chat 

Je ne m’étalerai pas trop longuement à propos des chats car je sais que c’est un sujet sensible pour nombre d’amis des animaux qui éprouvent un attachement compréhensible à ce félin mais font preuve d’un certain déni concernant la nuisance qu’il représente sur les espèces sauvages. De grâce si vous avez un chat, soyez conscients des terribles dégâts que causent ces prédateurs qui tuent par instinct et sans distinction la petite faune. À ceux qui s’apprêtent à mettre en commentaire que les humains sont pires que les chats, je réponds immédiatement que c’est vrai, mais que ça n’empêche pas de limiter l’impact écologique des quelques 13 millions de chats qui vivent dans nos foyers. Une méthode ne causant aucun traumatisme pour le chat peut facilement être mise en œuvre pour réduire grandement les dégâts de ce prédateur d’exception : il suffit de lui mettre un grelot et de limiter au maximum ses sorties en période de nidification (avril/mai/juin).

5. Limiter les éclairages inutiles

Virez ces lampadaires qui pourrissent la vie sauvage ! C’est prouvé, les éclairages extérieurs participent à l’effondrement de la  biodiversité. Tous les insectes du secteur s’y retrouvent attirés et les prédateurs tels que les  araignées y font un véritable carnage, alors que dans leur environnement normal la plupart d’entre eux devrait pouvoir s’échapper. La pollution lumineuse perturbe également les cycles de reproduction des amphibiens et de nombreuses autres espèces. les animaux nocturnes bizarrement, ont besoin… de nuit! Et il en va de même pour nous autres les humains. En plus pour observer les étoiles, rien de tel qu’une belle nuit noire !

6. Laisser pousser l’herbe, bordel !

Pour répondre à un commentaire fréquent : non, l’herbe haute n’attire pas plus les moustiques qu’une herbe tondue. Quant aux tiques et à la maladie de Lyme dont elles peuvent être porteuses, elles se propagent à la faveur de leurs hôtes (ongulés sauvages principalement) et non de l’herbe haute. Si vous êtes allergique aux pollens et que cet environnement naturel vous donne de l’urticaire, que les traitements antihistaminiques vous pèsent trop ou que la désensibilisation est impossible, je vous conseille de vivre en appartement dans un environnement urbain plus minéral ou ailleurs, en un lieu adapté à la pathologie qui est la vôtre. En tout cas dans le contexte de crise écologique que nous subissons, il apparaît difficilement soutenable d’éradiquer encore davantage la nature pour prévenir les allergies. La solution serait plutôt davantage de diversité d’espèces et une vie moins aseptique. 

Fleurs sauvages et graminées hautes

7. Offrir le gîte aux petits animaux du jardin

Plutôt que de bruler les branches mortes, disposez-les en tas dans un coin du jardin et recouvrez-les d’un tapis de feuilles. Les hérissons, crapauds et salamandres y trouveront refuge en hiver. Dans la forêt le bois mort et les feuilles se décomposent au sol, formant une terre extrêmement riche, pleine de vie. On peut s’en inspirer au jardin.

8. Pas d’anti-limace, même bio

Avec un tue-limace, on ne tue pas que les limaces, mais aussi les escargots et les animaux qui s’en nourrissent ! Détruire de façon systématique les gastéropodes est absurde quand on connaît le rôle précieux de ces bestioles sur le cycle de vie du sol : elles mangent certains champignons néfastes sans les disséminer (tel l’oïdium, qui attaque notamment les rosiers) et elles disséminent les champignons utiles, parmi lesquels la truffe. Les limaces sont en réalité au moins aussi essentielles à la vie des sols que les lombrics ! Vos précieuses plantations devront être protégées de leurs assauts uniquement pendant l’étape la plus sensible de leur croissance durant une quinzaine de jours tout au plus. Avec un paillage sec, de la cendre de bois renouvelée régulièrement ou des bogues de châtaignes sèches, on limite énormément les assauts. Et si par malheur vous en retrouvez quelques-unes, emmenez-les au bout du jardin ou à sa périphérie. Ainsi vous offrirez un festin aux auxiliaires tels musaraignes, hérissons, vers luisants, grives et autres oiseaux qui viendront alors en nombre et vous aideront à long terme à les réguler.

La leçon vaut également pour les désherbants, anti-pucerons etc. Même bio, ce sont des biocides qui tuent ! Toujours privilégier les méthodes culturales préventives à ces gestes qui abîment la nature.

9. Planter des buissons amis

Sorbiers, églantiers, aubépines et sureaux attirent des oiseaux pour leurs fruits de même que les insectes pour leurs fleurs (et par conséquent les oiseaux aussi!). Enfin ils séduisent l’œil du jardinier pour leur aspect esthétique incontestable et leurs fruits peuvent dans de très nombreux cas être consommés, cuisinés, transformés. Notez que le bois mort creux du sureau fait de remarques abris à insectes. À privilégier pour votre tas de bois évoqué plus haut.

10. Guêpes : halte à la psychose

En Allemagne on interdit de détruire un nid de guêpes ou de frelons. Quand c’est vraiment dangereux avec des risques de piqûres réels, on déplace les nids mais généralement des associations ou des professionnels viennent mettre en place des dispositifs en carton qui forment des déviations du couloir aérien, agissant à la tombée de la nuit quand les insectes sont endormis. 

En réalité la plupart des colonies de guêpes font des petits essaims inoffensifs, chez moi , il m’arrive même de les déplacer à la main en plein jour. Cette année il y en a eu beaucoup car il y a eu des fruits en abondance et les insectes se désaltéraient ainsi (eh oui, la sécheresse frappe aussi les insectes). 

Il y a toutefois un autre phénomène qui explique que nous ayons beaucoup de guêpes et de frelons : le déclin de la faune apivore, c’est-à-dire les populations d’oiseaux qui connaissent partout un effondrement alarmant, conséquence directe de l’agriculture intensive, de l’artificialisation du paysage et des traitements insecticides. De manière générale, la présence d’une espèce en très gros effectifs est un signe qui ne trompe pas : cela signifie qu’il manque quelque chose pour rétablir l’équilibre. 

11. Un mini-bassin pour les animaux du jardin 

En été, par forte chaleur, il n’y a pas que les humains qui cherchent l’eau. Une bassine d’eau sera très appréciée par la quasi totalité des espèces. Si possible, la suspendre pour ne pas attirer les chats lorsqu’elle est destinée aux oiseaux. Mettre quelques pierres pour éviter les noyades et de la mousse où les abeilles et les autres insectes se poseront pour boire. Disposer l’installation dans un lieu bien dégagé pour éviter que les prédateurs (domestiques ou non) surprennent trop facilement vos hôtes.

Mare aux nénuphars

12. Arbres : ne pas planter n’importe quoi n’importe où 

Avant d’acheter vos plantations, observez votre terrain et son environnement. Certaines essences ne pousseront pas chez vous, quoique vous fassiez. Le hêtre par exemple, très apprécié pour ses belles couleurs d’automne, n’est pas un arbre pionnier, il ne pousse pas sur des sols nus. Certains pépiniéristes cessent même d’en vendre car ces arbres se révèlent, comme tant d’autres, très sensibles aux canicules extrêmes que nous connaissons désormais chaque année, en particulier au sud de la Loire et dans les régions du centre du pays. Le réchauffement climatique bénéficie en revanche au chêne vert qui s’étend sur une aire plus grande, de même que l’acacia, dont la valeur écologique n’est pas formidable du tout. Il y a aussi l’if, un arbre particulièrement robuste qui offre une belle ombre dense et permanente. Son bois est de qualité, on peut également le tailler facilement. Bien que ses feuilles, son bois et sa graine soient toxiques, certains oiseaux raffolent de ses fruits.

Ce sont là quelques pistes, mais la première chose à faire est d’observer ce qui semble bien pousser là où l’on vit. S’intéresser à son sol et aux conditions météo dans la région aide à faire un choix. 

Enfin, planter très jeune si possible, pour que les arbres puissent bien déployer leur réseau racinaire. N’oubliez pas aussi les arbres fruitiers, ils sont précieux…et leur diversité plus grande qu’on le croit !

13. Opter pour un bassin plutôt qu’une piscine

Si vous tenez absolument à construire une piscine, préférez un bassin de baignade avec des aires pour la faune – autrement dit une piscine écologique – ça ne coûte pas plus cher et le résultat est beaucoup plus esthétique. Dans ces installations point de chlore, de sel ou de javel, la filtration se fait par le plus souvent par l’intermédiaire d’un lagunage filtrant où l’eau passe sur un lit filtrant constitué de graviers, de plantes et de bactéries qui font le travail. Certes, à surface de baignage égale cet aménagement prend plus de place qu’une piscine conventionnelle, mais vous avez ici une réalisation paysagère qui s’intègre harmonieusement dans le jardin. 

Bassin naturel de baignade.

14. Bien s’occuper des oiseaux du jardin

Pour prendre soin des oiseaux de votre jardin, pourquoi ne pas vous renseigner auprès de la Ligue de Protection des Oiseaux pour apprendre à reconnaître et à préserver les espèces qui vivent près de chez vous ? Mettre des mangeoires c’est bien, mais à condition de ne pas y mettre n’importe quoi, et à la bonne période. Sur ces questions des ornithologues sont là pour vous guider et transmettre aux plus jeunes leur passion pour la faune. Par exemple, évitez les boules de graisse en filets en plastique, il arrive que des oiseaux restent accrochés et en meurent. Privilégiez le fait maison ou retirez les filets. 

15. Ne pas tailler les haies de mi-mars à fin juillet

Voire jusqu’à fin septembre si la saison se prolonge. Ainsi vous éviterez de détruire les nids d’oiseaux ou de gêner leur reproduction. 

S’il fallait retenir une seule chose : faire preuve d’humilité

Avoir un jardin, c’est être de passage. Nous n’en sommes “possesseurs” que durant la période où nous l’occupons ; il a eu une vie avant nous, il en aura une autre après nous. Faisons en sorte de ne pas rompre une continuité, de ne pas en déloger tous ceux qui y vivaient peinards avant que nous venions y mener notre propre vie. Garder cela à l’esprit est un premier pas vers la considération pour le vivant en général, et notamment son aspect “biodiversité”, ce mot savant qui évoque sans les nommer les milliers d’espèces animales, végétales ou autres qui peuplent le moindre mètre carré dont nous avons la chance de profiter.

Eric Lenoir est paysagiste, il est à l’origine du jardin Punk, un concept que l’on pourrait définir comme un jardin libéré de l’emprise humaine. Diplômé de l’École Du Breuil – la prestigieuse école d’horticulture de la ville de Paris – auteur de plusieurs ouvrages, il a présenté en 2020 “Le jardin de la résilience” au festival international des jardins de Chaumont-sur-Loire.

Photos (hors chêne) : réalisations d’Éric Lenoir.

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2 Commentaires

  1. boris

    Un grand merci pour cette vision du jardin comme un espace partagé.

    Réponse
  2. Moullé-Berteaux

    Article intéressant sur beaucoup de points mais le dernier paragraphe me gêne : “Faisons en sorte de ne pas rompre une continuité, de ne pas en déloger tous ceux qui y vivaient peinards avant que nous venions y mener notre propre vie”. Cette façon de considérer l’espèce humaine essentiellement comme un parasite qui viendrait perturber un ordre multiséculaire voire millénaire est assez ridicule. Toute la nature qui nous entoure est en réalité façonnée par l’homme depuis homo sapiens et j’ai du mal à voir en quoi les limaces, oiseaux, insectes et autres petits rongeurs y auraient plus de droits que nous ou nous auraient précédés. Bien sûr il nous faut trouver une façon d’y vivre sans détruire ou perturber de façon irréversible les cycles naturels et les équilibres souvent fragiles qui régissent la vie des espèces animales et végétales, mais l’homme n’y est pas étranger, il n’a pas été parachuté un beau jour par une quelconque erreur de l’évolution. Nous avons le destin de la planète entre nos mains et devons d’abord penser à nourrir l’humanité en limitant au maximum notre impact sur l’environnement. Si le fond de votre pensée est qu’une humanité avec quelques milliards d’individus en moins serait préférable il vaut mieux le dire d’emblée, car j’ai l’impression que c’est le non-dit (et pour cause) de toute la pensée écologique moderne.

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