Avec sa chaîne CultivonsNous, Édouard Bergeon nous ramène à la terre

vendredi 20 novembre 2020

Dans le prolongement du succès de son film Au nom de la terre sorti en 2019, le réalisateur lance CultivonsNous.tv, chaîne thématique participative dédiée à la terre. Avec une ambition : faire mieux connaître le monde agricole et semer quelques bonnes graines pour la relève… Rencontre.

7 mois après son lancement, votre chaîne CultivonsNous.tv revendique (déjà) 50 000 abonnés ?

Oui et l’objectif est d’atteindre 100 000 abonnés l’année prochaine.

Nous sommes partis du constat que les grandes chaînes généralistes s’essoufflent un peu et que les gens veulent désormais pouvoir regarder ce qu’ils veulent où ils veulent et quand ils veulent, avec un intérêt évident pour le monde agricole et la ruralité – en attestent les 2 millions d’entrées du film (Au nom de la terre).

En partant de ce constat avec notre partenaire Alchimie – qui crée des plateformes affinitaires – on a donc eu l’idée d’une plateforme dédiée à la terre. C’était fin avril, pendant le premier confinement. On y parlerait de ce qu’on mange, ce qu’on boit, ce qu’on respire… de l’agriculture, la ruralité, la nature… C’est presque une plateforme semi-généraliste !

On agrège des contenus et on commence à en produire. Avec un abonnement inférieur à 5 euros par mois – dont 1 euro reversé à Solidarité Paysans – on propose déjà une très belle offre de programmes avec 1h à 2h de nouveaux contenus par semaine fournis principalement par ARTE, France TV et Ushuaïa de même que des programmes en provenance du Québec. Et avec une contribution à Solidarité Paysans et demain à d’autres associations, les abonnés agissent concrètement.

CultivonsNous.tv s’intéresse à tous les acteurs qui se mobilisent. Je pense notamment à deux étudiantes de HEC qui au lieu de partir à l’étranger faire une année de césure ont voulu faire un tour de France des fermes innovantes. Elles nous ont contacté il y a 4 mois pour nous parler de leur projet et on a tout de suite été emballés. On va donc pouvoir suivre leur périple sur CultivonsNous.tv. Les gens peuvent nous soumettre leurs idées de programme et s’il y a un propos intéressant, on prend. C’est une télé en circuit court, une chaîne participative.

À terme, l’ambition est de produire 1 à 2 documentaires par mois avec une rédaction ad ’hoc. On est très enthousiastes face à l’accueil du public et des médias. On continue donc à semer et il y a du travail, quand on sait que sur les 2 millions d’entrées de mon film en France, il n’y en a eu que 116 000 à Paris !

CultivonsNous.tv, c’est la deuxième brique après votre film Au nom de la terre ?

Absolument. J’ai fait une centaine de débats auprès du public en France en Belgique et en Suisse dans le prolongement de la sortie du film et je réalise qu’il y a une énorme méconnaissance du monde agricole dans les villes. Donc la volonté de ce projet était de prolonger la dynamique de Au nom de la terre et quand j’en ai parlé à Guillaume Canet il s’est tout de suite associé à la démarche en étant parrain bénévole de la chaîne. Personne ne nous attendait, mais c’est tellement important de parler de la terre, de la bouffe, de l’agriculture – aussi bien conventionnelle de conservation des sols, que biologique.

Ce n’est pas la chaîne du bio vue de Paris, je raconte les agriculteurs parce que je viens de là. Quand on connaît la terre – au risque de choquer certains – la boîte à outils chimique fait aussi partie de la production, surtout si on veut pouvoir manger pas cher. Je note d’ailleurs que pendant le confinement, c’est principalement l’agriculture conventionnelle qui a produit les pâtes et les tomates sur lesquelles on a fait des razzias. Il ne faut pas l’oublier.

Les agriculteurs sont aussi les premiers écologistes, on leur a juste demandé d’appliquer un modèle et on les a formé d’une certaine manière. Le réchauffement climatique est là et ils en sont parfaitement conscients puisqu’ils sont les premiers à souffrir des sécheresses à répétition. Mais ils sont pris dans un système complexe et ils veulent eux aussi en changer, mais pour cela on doit les aider.

C’est facile de leur donner des leçons de morale depuis la capitale, mais quand on est à leur place ce n’est pas la même histoire…

On parle aussi beaucoup du bio mais aujourd’hui c’est devenu une marque industrielle, pas forcément française. Aujourd’hui le principal problème, c’est surtout que dans moins de 10 ans la moitié des agriculteurs partira à la retraite. Donc il faut plutôt parler d’agriculture et susciter des vocations chez les jeunes. Parce que c’est par les jeunes que tout cela viendra.

En ce qui me concerne, j’essaie surtout de faire ce que je dis et d’insuffler cette philosophie à travers CultivonsNous. J’ai des restaurants avec mon associé qu’on fournit avec notre propre maraîchage, à titre perso j’ai la chance de pouvoir avoir un vrai budget bouffe et je cuisine, c’est un choix. Il faut donner les outils pour apprendre sans dire « il faut que », je ne supporte pas ça. Je ne veux pas être un militant chiant. 

Vous arrivez à rester bienveillant malgré votre vécu, conscient sans doute mieux que personne que ce modèle productiviste, même s’il nous nourrit, fait aussi beaucoup de victimes… on pense également à l’exemple de Paul François – un agriculteur victime d’un grave accident en 2004 lors de la manipulation d’un herbicide de la firme Monsanto – à qui vous avez apporté votre soutien ?

Oui mais il faut le faire évoluer ce modèle et il évolue d’ailleurs, mais il faut le faire sans être radical. Vous parlez de Paul, il vient justement de convertir sa ferme en bio, et c’est compliqué niveau rendement et revenus. Ce n’est jamais des solutions simples comme certains voudraient nous le faire croire.

Dans les documentaires que vous diffusez sur CultivonsNous, on découvre des métiers qui se développent à la faveur des circuits courts, on pense aux micro-scieries qui vont prélever les arbres de manière sélective pour des constructions en bois, à ce boulanger qui sélectionne des variétés anciennes de blé sur son territoire pour produire un pain d’exception, ou encore à ces petits abattoirs mobiles qui évitent aux animaux de vivre l’expérience traumatisante des abattoirs industriels… Vous croyez dans l’émergence de ces nouvelles filières locales ?

Oui car ces initiatives à une échelle plus humaine produisent de la qualité. L’abattage mobile est un bon exemple de nouvelle pratique qui n’a que des vertus en matière de bien-être animal, d’écologie et de qualité de la viande. Surtout quand on connait l’industrie de la viande et ses trusts qui n’ont rien à envier à ceux du lait !  À ce propos je prépare depuis plusieurs mois une série de documentaires de 15/20 minutes sur la mafia de la viande, dans lesquels on comprendra comment on abat des troupeaux entiers suite à la tuberculose et comment de gros industriels de la viande se font du beurre sur les agriculteurs. J’ai également suivi le député Olivier Damaisin sur le terrain qui a dirigé une mission parlementaire sur le mal-être et le suicide des agriculteurs. Toutes les 2 semaines on diffusera ces enquêtes sur CultivonsNous.

Edouard Bergeon et Guillaume Canet

Finalement ce que je retiens dans le contexte des crises successives qu’on subit en ce moment, c’est qu’on se rend peut-être compte que ces campagnes qu’on déserte depuis les années 60, elles n’ont pas que des inconvénients. D’ailleurs il est amusant de constater que la photo tendance du moment sur Instagram, c’est de se prendre en photo dans un bois, un champ ou au bord d’un ruisseau et de la poster genre « T’as de la chance »… c’est dingue. Ça a changé, depuis 1 an !

Effet de mode ou tendance de fond ?

Je n’ai pas passé le premier confinement à Paris, mais je pense que pour ceux qui se sont retrouvés enfermés en ville avec des gamins sans accès au vert, au ciné ou au restaurant, le besoin de reconnexion avec la terre est revenu comme un besoin, pas comme une mode. Et c’est rassurant, ça rend même optimiste ! À titre personnel, être connecté à la terre, c’est ce qui me rend le plus heureux.

Avec ma chaîne CultivonsNous, j’espère être une graine dans ce nouveau paysage.

On espère que cette graine germera également dans les écoles !

C’est un point auquel je tiens particulièrement. Justement, mon film m’a permis de pousser les portes de l’Assemblée, des ministères de l’Agriculture et de l’Éducation nationale jusqu’à celles de l’Élysée, donc je travaille concrètement à faire des actions au-delà des logiques de partis. Par exemple on va replanter des arbres le 3 décembre avec Guillaume Canet à l’école de mon père sur les terres où j’ai grandi. Là où on avait arraché les haies il y a 25 ans parce que c’était plus pratique, on va les replanter avec des scolaires et on va en faire un documentaire…

Et sur CultivonsNous.tv on aura bientôt la possibilité de donner 1 euros par mois à l’association Des Enfants & Des Arbres créée par Marie France Barrier, la réalisatrice du documentaire Le temps des arbres (disponible sur la chaîne), pour monter des projets pédagogiques de replantation d’arbres et de haies avec les écoles.

Vous le voyez, tout cela c’est un écosystème qui se nourrit !

Certains diront que ce n’est jamais assez, mais je reste convaincu que des changements profonds sont à l’œuvre et qu’ils ne peuvent s’opérer du jour au lendemain. À chacun d’entre nous de faire, au lieu de dire « il faut que ».

Pour plus d’infos, rendez-vous sur CultivonsNous.tv

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